La responsabilisation climatique en pratique

Un cadre de responsabilisation climatique est un ensemble de structures et de processus de gouvernance qui fait le lien entre les cibles et les engagements climatiques à long terme, d’une part, et la planification et l’application de politiques à court terme, d’autre part, grâce à des bilans et à des rapports d’étape réguliers et transparents. Pourquoi les gouvernements se donnent-ils des cadres de responsabilisation climatique? Comment les mettent-ils en œuvre, au Canada et ailleurs? Quelles pratiques exemplaires émergent de ces expériences?

Définir le problème : atteindre ses objectifs

La transition vers une économie sobre en carbone demandera du temps : s’il importe de se donner des cibles audacieuses à long terme, elles ne sont pas toujours utiles pour éclairer les politiques et stimuler l’action à court terme.

Il ne suffit pas de définir des cibles à long terme assorties d’échéanciers beaucoup plus étendus que les cycles électoraux. L’expérience canadienne le montre bien : l’un après l’autre, les gouvernements du pays ont fixé d’audacieuses cibles de réduction des émissions de GES plusieurs décennies à l’avance (entre autres pour 2000, 2005, 2010 et 2020) et ont chaque fois échoué à les atteindre.

Malheureusement, certains facteurs poussent les gouvernements à reporter l’adoption de politiques climatiques rigoureuses. Cependant, ces reports rendent l’atteinte des cibles à long terme plus difficile et plus coûteuse.

Lorsqu’on omet de faire correspondre la planification et l’application de politiques à court terme avec les cibles à long terme, on introduit aussi risques et incertitudes. L’absence d’un plan crédible pour l’atteinte de ces cibles prive les entreprises, les consommateurs et les investisseurs d’une vision claire des orientations climatiques futures, ce qui les rend plus vulnérables à des changements d’orientation soudains. Cela nuit aussi aux décisions d’investissement à moyen et à long terme. Cette incertitude peut étouffer l’innovation, pourtant nécessaire à l’atteinte des cibles à long terme.

Les cadres de responsabilisation climatique peuvent aider à relever ces défis. Comme nous le montrerons plus loin, ils peuvent préciser la trajectoire menant aux cibles de réduction des émissions. Ils peuvent pousser les gouvernements à adopter des politiques conformes à leurs engagements à long terme. Ils peuvent aussi, si nécessaire, rendre des correctifs possibles ou même obligatoires en prévoyant des rapports d’étape clairs et accessibles. Ils peuvent enfin favoriser une stabilité politique accrue, réduisant ainsi les risques pour les entreprises, les consommateurs et les investisseurs.

Les cadres de responsabilisation climatique peuvent également stimuler les ambitions à l’échelle mondiale. Les processus nationaux d’établissement de cibles intermédiaires de réduction des émissions peuvent servir d’intrants au cycle quinquennal de surveillance, de rapports et de définition des ambitions prévu par l’Accord de Paris. En harmonisant ainsi le processus canadien avec le processus international, on renforcerait la crédibilité et la transparence des deux systèmes, tout en réduisant le fardeau administratif des gouvernements.

Tirer des leçons de l’expérience internationale

Les gouvernements canadiens peuvent tirer de précieuses leçons des modalités d’application de cadres de responsabilisation climatique, aussi bien au pays qu’à l’étranger. Le Royaume- Uni a été le premier État à inscrire un cadre de responsabilisation climatique dans sa loi de 2008 sur les changements climatiques (Climate Change Act). Depuis, des gouvernements du monde entier ont suivi son exemple en adoptant des cadres semblables pour mieux gérer leurs cibles à long terme de réduction des émissions. Au Canada, c’est le Manitoba qui a ouvert la voie en 2018 avec sa Loi sur la mise en œuvre du plan vert et climatique. La Colombie-Britannique lui a emboîté le pas peu après en modifiant, en 2019, le Climate Change Accountability Act.

Pour comprendre les fondements des cadres de responsabilisation climatique, nous avons étudié un certain nombre d’exemples d’application à l’échelle nationale et internationale, notamment en Colombie-Britannique, en France, en Allemagne, au Manitoba, à Aotearoa/Nouvelle- Zélande, à Oslo, au Royaume-Uni et dans les gouvernements régionaux de l’Écosse et du pays de Galles. Nous avons également préparé des études de cas détaillées pour le Royaume-Uni, Aotearoa/Nouvelle-Zélande, la Colombie- Britannique et le Manitoba. Les cadres analysés varient quant aux types de processus et de structure de gouvernance qu’ils mettent en œuvre ainsi qu’à la flexibilité qu’ils offrent aux gouvernements dans l’établissement et l’atteinte des cibles à court et à long terme.

Notre étude nous a permis de faire ressortir six éléments communs aux cadres de responsabilisation climatique, ainsi que des pratiques exemplaires pour leur conception et leur application. Par « pratique exemplaire », nous entendons ici un élément de conception qui augmente la responsabilité du gouvernement quant à l’atteinte des cibles à long terme et des cibles intermédiaires – et à l’application des politiques qu’elles commandent – tout en préservant la robustesse du cadre face aux changements de gouvernement ou d’orientations politiques et à l’évolution des besoins stratégiques. Nous décrivons plus loin les éléments communs et les pratiques exemplaires.

Les pratiques exemplaires tirées des études de cas ne couvrent cependant pas toute la gamme des approches possibles. Elles proposent aux gouvernements canadiens des modèles utiles, auxquels ils ne devraient toutefois pas se limiter.

Officialiser les structures et processus de gouvernance climatique

Un premier élément commun aux cadres de responsabilisation climatique est la création d’un ensemble de structures de gouvernance et de processus officiels visant l’établissement et l’atteinte des cibles à long terme de réduction d’émissions et le suivi des progrès accomplis. Ces éléments de gouvernance comprennent plusieurs volets : définition claire des rôles et responsabilités, processus de définition de cibles intermédiaires de réduction des émissions, exigences entourant la préparation de plans d’action, détails des processus officiels de surveillance et de production de rapports, et élargissement de la portée au-delà de la stricte réduction des émissions. Nous décrivons ces volets en détail ci-dessous.

PRATIQUE EXEMPLAIRE :

Inscrire dans la loi les structures et processus de gouvernance et les cibles à long terme

L’inscription dans la loi d’une cible de réduction des émissions à long terme augmente la responsabilité d’un gouvernement quant à l’atteinte de cette cible. Cela correspond à l’approche adoptée par la Colombie- Britannique, la France, l’Allemagne, Aotearoa/ Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, de même que par les gouvernements régionaux de l’Écosse et du pays de Galles.

Un cadre de responsabilisation climatique juridiquement contraignant est plus résilient face aux changements de gouvernement ou d’orientations politiques, car un gouvernement ne peut déroger aux exigences du cadre qu’en contestant ou en modifiant carrément la législation, ce qui est plus difficile que, par exemple, réviser simplement des règlements d’application. De plus, l’intégration des structures et processus de gouvernance dans la législation en favorise la transparence et la crédibilité et peut offrir davantage de prévisibilité et de stabilité au public, aux parties intéressées et aux autres gouvernements.

Si la trajectoire des émissions ou la planification des politiques d’un gouvernement contreviennent à la cible inscrite dans la loi, les citoyens et les groupes d’intérêts peuvent poursuivre ce gouvernement.1 Lorsqu’il est utilisé, ce levier renforce la certitude et la prévisibilité qui entourent la trajectoire future des émissions.

Définir clairement les rôles et responsabilités

Les cadres de responsabilisation climatique définissent clairement le devoir des institutions en ce qui touche l’atteinte des cibles à long terme. Il s’agit notamment d’établir les responsabilités ministérielles et de définir le rôle des divers ministères et organismes gouvernementaux. Par exemple, au Royaume- Uni, c’est le ministre d’État de l’Énergie et de la Croissance propre qui est responsable de l’atteinte des cibles à long terme établies par la loi et de la surveillance des budgets carbone du pays. La législation du Royaume-Uni reconnaît également le rôle des gouvernements régionaux de l’Écosse, du pays de Galles et de l’Irlande du Nord dans la définition des politiques climatiques.1

Les cadres de responsabilisation climatique peuvent également donner lieu à la création de nouvelles institutions. Par exemple, la législation associée crée souvent un groupe d’experts indépendants, au financement public, pour surveiller et conseiller le gouvernement quant à l’élaboration, l’application et la surveillance des cibles à long terme et des cibles intermédiaires ou quant aux progrès accomplis. On peut donner comme exemple le Comité sur les changements climatiques au Royaume-Uni, la Commission des changements climatiques à Aotearoa/Nouvelle-Zélande, le Haut Conseil pour le climat en France et le Conseil consultatif d’experts au Manitoba.

La législation exige souvent que ces comités consultatifs tiennent compte de divers paramètres. Par exemple, dans l’exécution de ses tâches et fonctions, la Commission sur les changements climatiques d’Aotearoa/Nouvelle- Zélande doit tenir compte des éléments suivants : les circonstances régionales et sectorielles; la répartition des avantages, des coûts et des risques sur les différentes générations; et la relation entre les Māori et la Couronne, les obligations établies par le traité de Waitangi (Te Tiriti o Waitangi) et les répercussions particulières sur les Māori et les iwis (tribus māori).

PRATIQUE EXEMPLAIRE :

Garantir l’indépendance des conseils et des évaluations

L’existence d’un organisme indépendant donnant au gouvernement des conseils officiels sur les politiques climatiques et évaluant ses progrès renforce la crédibilité d’un cadre de responsabilisation climatique. En agissant comme un conseiller fiable et non partisan auprès de toutes les parties et de tous les ordres de gouvernement, cet organisme contribue à dépolitiser les orientations climatiques et prodigue des conseils et des recommandations objectifs basés sur les données probantes quant aux aspects controversés des politiques climatiques. La pratique exemplaire veut que les fonctions de conseil et d’évaluation – distinctes ou combinées – soient exécutées de façon indépendante par des personnes dont le rôle est clair et qui disposent de ressources suffisantes et de l’autorité nécessaire pour exécuter leurs tâches.

Le Comité sur les changements climatiques (CCC) du Royaume-Uni constitue un exemple remarquable. Premier du genre, il donne des conseils indépendants, basés sur les faits et non partisans au gouvernement britannique depuis sa création, en 2008. Le CCC agit également comme chien de garde, analysant et évaluant les plans et les actions du gouvernement pour assurer à la fois la fonction de conseil et d’évaluation. Depuis plus de dix ans maintenant, la plupart des gouvernements britanniques successifs suivent les conseils du CCC et se reposent sur ses preuves et ses analyses impartiales. Cette réussite a mené d’autres pays à établir des organismes consultatifs indépendants semblables, notamment la Commission sur les changements climatiques d’Aotearoa/Nouvelle-Zélande.

Conformément à cette pratique exemplaire, les connaissances et les expériences des membres de l’organisme expert indépendant sont diversifiées et représentatives. Par exemple, le CCC du Royaume-Uni se compose de huit membres indépendants, spécialistes des changements climatiques, des sciences, de l’économie, de la science du comportement et des affaires. Au Canada, un cadre de responsabilisation climatique devrait prévoir tout particulièrement la nomination de membres ayant une expertise et une expérience relatives aux droits et aux savoirs autochtones. L’encadré 2 explore la démarche adoptée par Aotearoa/Nouvelle-Zélande pour garantir la représentation des points de vue des Māori et des iwis à la Commission sur les changements climatiques, et la section 6 explore de façon plus générale la façon dont le Canada pourrait garantir la représentation des connaissances et points de vue autochtones. Ce type de représentation élargie contribue à ce que
les recommandations de l’organisme expert reflètent non seulement les mesures nécessaires à l’atteinte des cibles climatiques, mais aussi les considérations sociales et économiques.

Bien que ce ne soit pas le cas des gouvernements que nous avons étudiés, soulignons qu’il est aussi possible de donner un rôle de surveillance à un organisme indépendant ayant une certaine influence sur l’élaboration de politiques. Le California Air Resources Board (CARB), dont traite l’encadré 1, en est un exemple probant.

Encadré 1 : California Air Resources Board (CARB)

Créé en 1967, le California Air Resources Board (CARB) est le principal acteur étatique en matière de pollution atmosphérique et de changements climatiques. Son rôle est notamment d’établir des normes sur la qualité de l’air dans l’État, de mesurer les progrès de la Californie dans la réduction des polluants, de mener des recherches sur les causes et les effets de la pollution atmosphérique, d’encadrer les efforts de l’État en matière de réduction des GES et de dialoguer avec le public et les parties prenantes pour évaluer les progrès accomplis et envisager de nouvelles approches.

Le CARB est un organisme gouvernemental indépendant. Les douze membres de son conseil d’administration (nommés par le gouverneur de l’État) sont appuyés par un important personnel professionnel.

Parmi les organismes indépendants étudiés dans le présent rapport, le CARB est le seul à être chargé d’élaborer les programmes et politiques de lutte contre les changements climatiques de l’État (plutôt que de simplement conseiller le gouvernement et agir comme chien de garde). Selon la loi californienne de 2006 sur les solutions au réchauffement climatique (Global Warming Solutions Act), le CARB est le principal organisme d’application de cette loi. Il devait donc élaborer et appliquer des règlements et des politiques conformes à l’engagement de l’État, inscrit dans la loi, de ramener ses émissions de GES au niveau de 1990 pour 2020. La loi charge donc le CARB de l’élaboration et de la surveillance des principaux programmes de réduction des émissions de l’État, comme son programme de bourse du carbone, sa norme sur le carburant à faible teneur en carbone et ses programmes de véhicules à émission zéro. De nouvelles lois adoptées en 2014 et en 2017 demandent au CARB de mettre en place des mesures pour ramener les émissions de GES à 40 % sous le niveau de 1990 d’ici 2030 et à 80 % sous le niveau de 1990 d’ici 2050. La Californie avait atteint ses cibles de réduction des émissions pour 2020 quatre ans à l’avance, mais selon le 11e California Green Innovation Index, l’État n’arrivera vraisemblablement pas à atteindre sa cible pour 2030.

PRATIQUE EXEMPLAIRE :

Favoriser une approche pangouvernementale

Dans la plupart des cas, le cadre de responsabilisation désigne un seul ministre, le plus souvent le ministre responsable de l’environnement ou des changements climatiques, comme responsable de l’atteinte des cibles à long terme et des cibles intermédiaires de réduction des émissions. Cependant, une lutte efficace contre les changements climatiques nécessite la collaboration et la concertation de tous les secteurs de dépenses et de tous les ministères.

Un cadre de responsabilisation climatique conforme à cette pratique exemplaire répartit les responsabilités entre divers acteurs gouvernementaux pour favoriser une démarche pangouvernementale dans la poursuite des cibles à long terme et des cibles intermédiaires. Ce partage élargi des responsabilités favorise une démarche plus coordonnée et plus concertée qui peut améliorer l’efficacité globale des politiques climatiques.

Un certain nombre d’États ont privilégié une approche pangouvernementale pour leur cadre de responsabilisation climatique. Par exemple, en Allemagne, où la loi de protection du climat établit des cibles annuelles de réduction des émissions sectorielles, c’est le principal ministre responsable d’un secteur qui est également responsable de l’atteinte de la réduction des émissions pour ce secteur. Si une cible sectorielle n’est pas atteinte, le ministre responsable doit présenter un plan stratégique révisé pour éliminer l’excès d’émissions et atteindre les cibles futures. Au Royaume-Uni, le gouvernement a récemment suivi l’avis du CCC et annoncé la création d’un comité ministériel sur les changements climatiques qui réunira les ministres responsables des politiques climatiques nationales et internationales, afin de stimuler l’action et de favoriser la concertation à l’échelle gouvernementale. Au Canada, une approche pangouvernementale à l’échelle fédérale pourrait répartir les responsabilités entre plusieurs membres du cabinet, par exemple le premier ministre, la vice-première ministre, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique et le ministre des Finances.

Établir des cibles intermédiaires de réduction des émissions

Les pays qui ont mis en place un cadre de responsabilisation climatique ont pour la plupart adopté des cibles intermédiaires de réduction des émissions pour l’atteinte des cibles à long terme. Une cible intermédiaire correspond soit à une quantité d’émissions nationales pour une année donnée, soit à un « budget » d’émissions cumulatives sur une période donnée. Habituellement, les cibles intermédiaires correspondent à un objectif final de GES, par exemple la carboneutralité en 2050. Cet objectif final est normalement basé sur une évaluation scientifique des mesures nécessaires pour éviter des changements climatiques dangereux.

Les États utilisent différentes méthodes pour fixer les cibles intermédiaires. Au Royaume-Uni, par exemple, une modélisation économique permet d’estimer la voie la plus rentable pour l’atteinte de la cible nationale pour 2050 et sert de base à l’établissement des cibles intermédiaires. En Allemagne, la cible nationale est répartie entre les différents secteurs économiques, puis en budgets annuels d’émissions qui diminuent de façon linéaire.2

Les périodes intermédiaires sont aussi plus ou moins longues et établies plus ou moins longtemps à l’avance. Par exemple, la loi sur les changements climatiques du Royaume- Uni (Climate Change Act, 2008) exige que les budgets soient établis 12 ans à l’avance. À Aotearoa/Nouvelle-Zélande, trois budgets quinquennaux consécutifs doivent être en vigueur en tout temps, alors que l’Écosse établit des cibles annuelles de réduction des émissions sur un horizon minimal de 12 ans. Au Manitoba, un compte d’épargne carbone établit des budgets quinquennaux, un à la fois.

Enfin, les cadres de responsabilisation climatique varient quant au niveau et au type de flexibilité qu’ils accordent au gouvernement pour l’ajustement des cibles intermédiaires. Par exemple, au Manitoba, où les budgets carbone sont établis un à la fois, les gouvernements ont toute latitude quant à la trajectoire à long terme. Si la loi manitobaine prescrit que tout échec à l’atteinte d’une cible quinquennale doit être reporté au cycle suivant sous la forme d’une obligation accrue et que l’ampleur des réductions prévues doit augmenter avec chaque période, elle ne prévoit ni trajectoire globale pour les budgets carbone au-delà du budget actuel, ni cibles d’émission à long terme pour les établir. Par contraste, à Aotearoa/ Nouvelle-Zélande, les cibles intermédiaires sont définies en fonction d’une cible à long terme établie scientifiquement, et le gouvernement ne peut réviser les cibles intermédiaires et à long terme que si le conseil consultatif indépendant le lui recommande.

PRATIQUE EXEMPLAIRE :

Préciser la façon dont les cibles intermédiaires sont établies et évoluent

Le fait d’établir les cibles intermédiaires au cas par cas ou de se concentrer sur le court terme peut exacerber l’incertitude politique et augmenter les risques pour les entreprises, les clients et les investisseurs. Par conséquent, les pratiques exemplaires en matière de responsabilisation climatique préconisent la planification de cibles intermédiaires au moins 10 ou 15 ans à l’avance ainsi que l’adoption de règles et de processus clairs et codifiés régissant leur établissement.

Pour des raisons de prévisibilité, les pratiques exemplaires prévoient aussi la définition de règles claires quant aux circonstances d’une éventuelle modification des cibles intermédiaires. Et pour des raisons de crédibilité, ces modifications doivent être conditionnelles aux recommandations du conseil consultatif. Par exemple, le Zero Carbon Act d’Aotearoa/Nouvelle-Zélande prévoit que le gouvernement ne peut réviser les cibles intermédiaires que si le conseil consultatif le recommande – et ce dernier ne peut le faire que si certaines circonstances (décrites dans la loi) changent, par exemple si la science du climat évolue. Non seulement cette approche est un gage de prévisibilité, mais elle permet une certaine souplesse de réaction.

PRATIQUE EXEMPLAIRE :

Définir les cibles intermédiaires de réduction des émissions sous la forme de budgets carbone cumulatifs

Cette pratique exemplaire préconise la définition de cibles intermédiaires de réduction des émissions sous la forme de budgets carbone cumulatifs, plutôt que d’une cible de réduction des émissions fixée pour la fin d’une période donnée. Par exemple, au lieu d’établir simplement une cible pour le niveau d’émissions de GES au Canada en 2030, on aurait des budgets d’émissions cumulatifs fixant une quantité maximale d’émissions sur une période donnée, par exemple de 2025 à 2030. L’approche par budget carbone a été adoptée dans certains des cas que nous étudions ici, notamment au Royaume-Uni, à Aotearoa/Nouvelle-Zélande, au pays de Galles, en France et au Manitoba.

L’approche par budget carbone oblige les gouvernements à se concentrer sur les émissions cumulatives, une mesure plus représentative de la contribution d’un territoire à l’atténuation des changements climatiques à l’échelle mondiale. Un budget carbone préétabli rend également les compromis à faire entre les régions, les secteurs ou les périodes plus clairs pour les décideurs, ce qui les oblige à reconnaître que des émissions accrues maintenant entraîneront forcément des réductions accrues plus tard, et que des émissions accrues dans certains secteurs ou régions entraînent forcément des réductions accrues ailleurs.

Produire des plans d’action pour atteindre les cibles intermédiaires

Sous peine de rester purement théoriques, les cibles intermédiaires et les cibles à long terme de réduction des émissions doivent être accompagnées de plans et de politiques. C’est pourquoi les cadres de responsabilisation climatique obligent habituellement les gouvernements à prévoir des mesures stratégiques suffisantes à l’atteinte des cibles intermédiaires et à élaborer les politiques en étroite collaboration avec les experts et parties prenantes.

Aussi bien au Royaume-Uni qu’en Nouvelle- Zélande, le gouvernement doit déposer un plan d’action, accompagné de politiques et de mesures. Dans ni l’un ni l’autre des cas, la législation ne prescrit la façon dont le gouvernement doit atteindre ses cibles ou les politiques qui doivent s’appliquer, mais les deux États établissent un ensemble de considérations qui doivent être prises en compte par le gouvernement lorsqu’il établit les plans. Ailleurs, les cadres de responsabilisation sont plus contraignants. En France par exemple, la législation précise une série de mesures à mettre en œuvre pour réduire les émissions et atteindre les cibles, notamment la rénovation de bâtiments, l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. À Oslo, une ville qui s’est donné un budget climatique annuel accompagné d’objectifs de réduction des émissions, le conseil municipal ne peut approuver un plan de dépenses que s’il est conforme aux objectifs de réduction des GES prévus dans ce budget climatique.

PRATIQUE EXEMPLAIRE :

Associer des mesures de rectification des politiques à l’atteinte des cibles intermédiaires

L’une des pratiques exemplaires qui se dégagent des études de cas consiste à obliger un gouvernement, en cas d’échec dans l’atteinte d’une cible intermédiaire, à réviser ses politiques et à publier des propositions visant à ajuster les futures cibles intermédiaires afin de compenser les excès d’émissions. Les gouvernements doivent ainsi élaborer des politiques conformes à leurs engagements (particulièrement lorsque les cibles intermédiaires sont établies sous la forme de budgets carbone) et garder le cap sur leurs cibles à long terme.

Au Royaume-Uni, par exemple, si le dernier relevé d’une période donnée montre que les émissions de GES dépassent le budget prévu, le secrétaire d’État doit déposer au Parlement un rapport où sont revues les propositions et les politiques dans l’optique de compenser les excès d’émission pour les prochaines périodes

Exiger surveillance et production de rapports

Tous les cadres de responsabilisation que nous avons étudiés comprennent des exigences quant à la surveillance et à la production de rapports. Ces éléments sont au cœur de la responsabilité gouvernementale dans l’atteinte des cibles intermédiaires, car ils permettent au public de mieux comprendre et évaluer les progrès réalisés par le gouvernement dans le respect de ses engagements. Dans le cas des gouvernements qui prennent des mesures significatives pour atteindre les cibles intermédiaires et les cibles à long terme, une surveillance et une production de rapports périodiques peuvent démontrer de façon crédible qu’ils font des progrès et qu’ils mettent en place des politiques conformes à leurs cibles à court et à long terme.

Habituellement, les cadres de responsabilisation climatique confient à un organisme indépendant le mandat de déposer un rapport sur les progrès du gouvernement chaque année, puis un rapport d’évaluation final à la fin d’une période intermédiaire. Cette régularité et cette transparence permettent aux individus, aux experts et aux parties prenantes de comparer les objectifs annoncés aux plans d’application des politiques et aux résultats. En cas d’échec, la production de rapports peut créer une pression sur les décideurs pour les obliger à adapter leurs plans et à corriger le tir. Les cadres de responsabilisation climatique obligent également les gouvernements à produire des rapports, souvent dans la foulée des exigences et activités existantes de production de rapports gouvernementaux.

Au Canada, cela inclurait les rapports d’étape produits en vertu de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques.

PRATIQUE EXEMPLAIRE :

Exiger que le gouvernement réponde officiellement aux rapports du comité consultatif indépendant

Certains des cadres de responsabilisation étudiés exigent que le gouvernement réponde aux rapports d’étape et aux recommandations de politiques tournées vers l’avenir du conseil consultatif d’experts. Ces exigences assurent la pertinence du conseil consultatif indépendant et renforcent la responsabilité
du gouvernement dans l’atteinte des cibles intermédiaires. Si le gouvernement rejette des conseils indépendants, il doit justifier sa décision et expliquer clairement les plans stratégiques qu’il propose en lieu et place.

L’expérience du Royaume-Uni aide à démontrer le rôle que joue ce type d’exigence de production de rapports dans la gouvernance climatique. La législation sur la responsabilisation climatique du Royaume-Uni oblige le gouvernement à répondre publiquement aux rapports annuels du CCC pour expliquer en quoi les initiatives en place concordent avec les budgets intermédiaires et les cibles à long terme.

Bien que le Royaume-Uni ait respecté son premier (2008 à 2012) et son second (2013 à 2017) budget carbone et qu’il soit en bonne voie de respecter le troisième (2018 à 2022), on s’attend à ce qu’il n’arrive pas à respecter le quatrième et le cinquième, et encore moins la nouvelle cible de carboneutralité adoptée pour 2050 (plus contraignante que la cible antérieure pour la même année, qui visait 80 % de réduction par rapport au niveau de 1990). Dans un rapport publié en 2019, le CCC signalait que le gouvernement du Royaume-Uni et tous les gouvernements régionaux devaient intensifier de façon importante et urgente leurs politiques pour viser la carboneutralité en 2050, et faisait un certain nombre de recommandations de politiques correspondantes. En signalant à l’avance que les plans stratégiques du pays ne lui permettraient pas d’atteindre sa nouvelle cible pour 2050, ce rapport périodique a poussé le gouvernement britannique à réévaluer sa démarche et à réviser ses plans. Dans l’éventualité où il choisirait d’ignorer les avertissements et les conseils du CCC, il devrait publier ses motifs et rendre des comptes au public.

Élargir la portée au-delà des réductions des émissions

Si les cadres de responsabilisation climatique sont habituellement axés sur l’atteinte des cibles à long terme de réduction des émissions, ils vont souvent au-delà de l’atténuation des changements climatiques pour inclure l’adaptation. Ils peuvent également tenir compte des répercussions sociales, économiques et culturelles globales des politiques climatiques. Cela peut comprendre des dimensions comme l’abordabilité, la santé, la compétitivité ainsi que la sécurité de l’approvisionnement en nourriture, en eau potable et en énergie, entre autres. Cette portée élargie des cadres de responsabilisation climatique est illustrée par l’approche d’Aotearoa/Nouvelle-Zélande, qui oblige les décideurs à tenir compte de dimensions comme les circonstances régionales et sectorielles, de même que des répercussions potentielles sur les iwis et les Māori.

PRATIQUE EXEMPLAIRE :

Intégrer de multiples objectifs aux politiques et aux trajectoires

Les cadres de responsabilisation climatique conformes aux pratiques exemplaires visent l’adoption de politiques climatiques intégrées, c’est-à-dire qui traitent non seulement de la réduction des émissions de GES, mais également de l’adaptation aux changements climatiques, de même que d’objectifs sociaux et économiques plus larges. Par exemple, les cadres de responsabilisation climatique d’Aotearoa/Nouvelle-Zélande et du Royaume- Uni créent des comités d’adaptation qui évaluent les risques climatiques et conseillent les gouvernements sur les politiques d’adaptation. En France, la législation exige des décideurs qu’ils établissent des trajectoires de développement économique sobre en carbone.

L’extension officielle de la portée d’un cadre de responsabilisation climatique pour inclure d’autres dimensions des changements climatiques au-delà de la stricte réduction des émissions de GES peut mener à une politique améliorée et mieux intégrée. Elle limite également les divisions qui peuvent découler de l’absence de liens entre les cibles d’émissions de GES et des considérations plus larges liées au développement économique et à la résilience.

En Nouvelle-Zélande par exemple, la législation établit un vaste ensemble de considérations qui doivent être prises en compte lors de l’élaboration des politiques : les connaissances scientifiques disponibles; les technologies actuelles et prévues; les circonstances sociales, culturelles, environnementales, écologiques et économiques; la répartition des avantages, des coûts et des risques entre les générations; et les droits et savoirs autochtones. De plus, le plan d’action du gouvernement pour la réduction des émissions doit inclure des stratégies de réduction des répercussions sur les travailleurs, les employeurs, les régions et les communautés.

Cependant, si les cas étudiés font de l’intégration une pratique exemplaire, tous les États n’y arrivent pas, et même ceux qui y arrivent se heurtent à certaines limites. Au Royaume-Uni par exemple, les évaluations des risques climatiques menées en vertu du cadre de responsabilisation ont été critiquées parce qu’elles ne faisaient pas le lien entre l’évaluation des risques et les processus et responsabilités dans l’élaboration de politiques d’adaptation, c’est-à-dire entre la définition des priorités et l’élaboration des politiques, comme pour les mesures d’atténuation. Ces lacunes soulignent l’importance de tirer des leçons des expériences rapportées dans nos études de cas, mais sans s’y limiter (nous reviendrons sur cette question à la section 5).

Tableau 1. Éléments des cadres de responsabilisation climatique et pratiques exemplaires pour leur application

ÉLÉMENTSPRATIQUES EXEMPLAIRES


Officialisation des structures et processus de gouvernance climatique


Création d’un ensemble de structures de gouvernance et de processus officiels visant l’établissement et l’atteinte de cibles à long terme de réduction d’émissions et le suivi des progrès accomplis.


Inscrire dans la loi les structures et processus de gouvernance et les cibles à long terme


L’inscription dans la loi d’une cible de réduction des émissions à long terme, de même que l’élargissement du cadre de gouvernance, augmente la responsabilité d’un gouvernement quant à l’atteinte de cette cible tout en favorisant la transparence, la crédibilité et la prévisibilité.

Définition claire des rôles et des responsabilités

Description des devoirs des institutions en ce qui touche l’atteinte des cibles à long terme.

Garantir l’indépendance des conseils et des évaluations

Le fait que les gouvernements disposent de conseils et d’évaluations indépendants, fiables et basés sur les données probantes contribue à dépolitiser les orientations climatiques.

Favoriser une approche pangouvernementale

La répartition entre divers acteurs gouvernementaux des responsabilités en matière de politiques climatiques et d’atteinte des cibles favorise la collaboration et la concertation entre les secteurs de dépenses, pour ainsi accroître l’efficacité des politiques climatiques globales.



Établissement de cibles intermédiaires de réduction des émissions


Définition de cibles intermédiaires de réduction des émissions pour établir une trajectoire vers les cibles à long terme.

Préciser la façon dont les cibles intermédiaires sont établies et évoluent.

La planification de cibles intermédiaires au moins 10 ou 15 ans à l’avance, tout comme l’adoption de règles et de processus clairs et codifiés régissant leur établissement et leur modification, améliorent la prévisibilité et la reddition de comptes.

Définir les cibles intermédiaires de réductions des émissions sous la forme de budgets carbone cumulatifs.

La définition des cibles intermédiaires de réduction des émissions sous la forme de budgets carbone donne une mesure plus représentative de la contribution d’un territoire à l’atténuation des changements climatiques à l’échelle mondiale. Elle rend également les compromis à faire entre les régions, les secteurs ou les périodes plus clairs pour les décideurs.


Production de plans d’action pour faire respecter les cibles intermédiaires

Obligation pour les gouvernements de prévoir, en collaboration avec les experts et parties prenantes, des mesures stratégiques pour atteindre les cibles intermédiaires.

Associer des mesures de rectification des politiques à l’atteinte des cibles intermédiaires.


L’obligation pour un gouvernement, en cas d’échec dans l’atteinte d’une cible intermédiaire, de réviser ses plans et politiques pour compenser les excès d’émissions peut l’aider à garder le cap sur ses cibles à long terme.

Exigences de surveillance et de reddition de comptes

Obligation officielle de rendre des comptes avec transparence quant aux plans et aux progrès accomplis, pour permettre au public de mieux comprendre et évaluer les progrès réalisés par le gouvernement dans le respect de ses engagements.


Exiger que le gouvernement réponde officiellement aux rapports du comité consultatif indépendant.


L’obligation pour un gouvernement de répondre aux rapports d’étape et aux recommandations de politiques tournées vers l’avenir du conseil consultatif d’experts renforce sa responsabilité dans l’atteinte des cibles intermédiaires.


Élargissement de la portée au-delà de la réduction des émissions


Obligation pour les gouvernements d’aller au-delà de la réduction
des émissions pour réfléchir à l’adaptation aux changements climatiques ou aux répercussions sociales, économiques et culturelles plus générales des politiques climatiques.

Intégrer de multiples objectifs aux politiques et aux trajectoires.

L’extension officielle de la portée d’un cadre de responsabilisation climatique pour tenir compte de l’adaptation et de la croissance propre peut mener à une politique améliorée et mieux intégrée, et aider les acteurs à dépasser la réduction des émissions de GES pour réfléchir au développement économique et à la résilience.
  1. Il faut noter que les gouvernements régionaux ont leurs propres cibles de réduction des émissions et leurs propres politiques climatiques, mais contribuent également à l’atteinte des budgets carbone et des cibles à long terme du Royaume-Uni ainsi qu’à l’application de politiques nationales.
  2. Au Royaume-Uni, au contraire, le Comité sur les changements climatiques utilise des trajectoires sectorielles uniquement pour mener des con- sultations avec les groupes d’intervenants des différents secteurs. L’idée est d’évaluer la faisabilité des cibles intermédiaires et d’établir un point de référence pour une trajectoire rentable vers la cible à long terme.
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