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Vivre selon nos moyens

Pourquoi le Canada devrait-il se fixer des jalons pour la réduction des émissions?

Le Canada s’est lancé tout un défi en visant zéro émission nette d’ici 2050, car il lui reste encore beaucoup de chemin à faire pour atteindre l’objectif actuel de 2030, qui est d’ailleurs plus modeste. Rappelons que seulement 30 ans nous séparent de 2050; le Canada doit donc rapidement s’armer d’un plan concret pour atteindre cette nouvelle cible. 

Nous pourrions commencer par fixer des jalons pour la réduction des émissions, ce qui nous aiderait à transformer un objectif ambitieux et à long terme en étapes gérables, réalisables et mesurables. Mais dans un pays comme le Canada, c’est plus facile à dire qu’à faire.

Voir au-delà des chiffres

Commençons par la base. La gestion des jalons de réduction des émissions, ou d’un budget carbone, n’est pas si différente de la planification financière. Une famille gère un budget mensuel pour atteindre certains objectifs, comme s’offrir des vacances annuelles ou mettre de l’argent de côté pour les études des enfants, dans plusieurs années. Le budget est un mécanisme destiné à aider la famille à éviter les dépenses à court terme qui nuisent aux objectifs à long terme.

De la même façon, un budget carbone viendrait encadrer et limiter les émissions produites par le pays sur une période donnée, ce qui l’aiderait à atteindre son objectif de 2050.

La pose de jalons n’est pas une panacée en soi et s’inscrit généralement dans une législation plus large sur la responsabilisation en matière de changements climatiques, qui s’accompagne souvent de dispositions donnant du mordant aux cibles de réduction des émissions, comme des services-conseils d’experts et des systèmes transparents de suivi et de reddition de compte. Parallèlement à ces dispositions, les jalons pourraient accroître nos chances d’atteindre les cibles à long terme de plusieurs façons.

D’abord, les jalons balisent la route vers 2050. Ce faisant, ils offrent aux décideurs, aux entreprises et aux investisseurs un degré de certitude et de prévisibilité en traçant la voie à suivre et en définissant les actions requises pour y arriver.

Ensuite, les jalons et les processus connexes améliorent la transparence et la reddition de compte, deux éléments particulièrement importants si l’on se fie aux résultats du Canada par rapport aux cibles actuelles. À maintes reprises, le gouvernement canadien a promis d’atteindre des cibles d’envergure à très long terme, mais les défis à court terme et le cycle électoral fédéral de quatre ans (maximum) poussent souvent les gouvernements à laisser les décisions difficiles à leurs successeurs, qui annonceront à leur tour une nouvelle cible encore plus lointaine.

Les cibles intermédiaires aident les gouvernements à s’en tenir au programme à long terme en les obligeant à établir des plans rigides pour atteindre les jalons à court terme. Les systèmes de suivi et de reddition de compte à intervalle fixe (souvent chapeautés par des experts indépendants) permettent ensuite au public d’évaluer les progrès du gouvernement et de tenir les élus responsables de leurs actions.

Enfin, les jalons permettent de mesurer la réduction des émissions et de corriger le tir si les résultats ne sont pas satisfaisants. Le gouvernement profite ainsi de multiples occasions de revoir sa stratégie et de repartir sur la bonne voie avant qu’il ne soit trop tard.

Le Canada ne part pas de zéro

L’utilisation de jalons pour la réduction des émissions au Canada n’a rien de nouveau. En 2018, le Manitoba a été la première province à instaurer des cibles intermédiaires en créant un compte d’épargne carbone. Encadré par un conseil consultatif d’experts, ce compte fixe des cibles de réductions cumulatives d’émission sur cinq ans. En 2019, le cadre de gouvernance et de responsabilisation en matière de changements climatiques de la Colombie-Britannique a fixé des cibles de réductions pour chaque secteur. Les systèmes de plafonnement et d’échange de droits d’émission mis en place dans certaines provinces comme le Québec et la Nouvelle-Écosse peuvent également servir de plateforme de transition vers ce genre d’approche.

Le Canada peut aussi s’inspirer de ce qui se fait à l’étranger. Le Royaume-Uni a été le premier pays à adopter en 2008 des objectifs de réduction des émissions juridiquement contraignantes et des cibles de réductions cumulatives sur cinq ans. Plusieurs États ont par la suite emboîté le pas et adopté leur propre législation encadrant la responsabilisation climatique et les jalons pour la réduction des émissions.

Des décisions difficiles à venir

Le gouvernement fédéral va désormais de l’avant avec ce dossier à l’échelle nationale. À la fin de 2019, il s’est engagé à fixer des cibles de réduction des émissions sur cinq ans. Il doit maintenant se doter d’un plan pour y parvenir.

La division des pouvoirs entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux leur responsabilité commune envers les politiques climatiques présenteront des défis particuliers. Par exemple, les jalons seront-ils fixés uniquement à l’échelle nationale? Les provinces, les territoires et les secteurs commerciaux devront-ils aussi atteindre des cibles intermédiaires?

Les questions sont légion : qui sera responsable de la mise en œuvre des politiques qui assureront le respect des objectifs à la grandeur du pays? Le gouvernement fédéral sera-t-il seul aux commandes, ou les provinces auront-elles leur mot à dire? Si les provinces doivent contribuer aux objectifs, quelles seront les mesures incitatives pour favoriser la participation? Les mauvais résultats auront-ils des conséquences?

Même au sein d’un seul gouvernement, la mise en œuvre des politiques n’est pas sans embûches. Il faut par exemple déterminer quels mécanismes de reddition de compte seront utilisés pour orienter les efforts des différents organes gouvernementaux vers un objectif commun.

Dernières questions, et non les moindres, à la lumière des expériences passées : à quel point les jalons seront-ils contraignants? Les gouvernements auront-ils la possibilité de les rajuster ou de les ignorer comme bon leur semble? Quels mécanismes de responsabilisation pourra maintenir le Canada sur la bonne voie?

Les jalons de réduction des émissions ont beaucoup à offrir au Canada tandis que le pays cherche des solutions pour atteindre la carboneutralité et, à l’image d’une famille qui vivait au-dessus de ses moyens, l’adoption d’un budget carbone ne sera pas facile au début. Pour que les cibles intermédiaires sur cinq ans produisent les résultats escomptés, le Canada devra s’attaquer sans détour à ces questions complexes et toujours changeantes.

Ce billet de blogue est le troisième de la série D’ici à zéro. Lisez le premier et le deuxième billet de la série pour en savoir plus.

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