À quel point le Canada est-il en mesure d’atténuer le risque climatique en agissant pour la prévention du réchauffement planétaire et des perturbations qui nous guettent? Et surtout, quel poids ont nos actions nationales si les autres grands pollueurs n’agissent pas de leur côté?
Réponse courte : plus que vous ne le pensez. Oui, le Canada n’est qu’un pays parmi d’autres au chapitre des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Et oui, nos émissions comptent, aussi modestes soient-elles. Mais les décisions que nous prenons ont le potentiel d’influencer bien plus que le 1,6 % des émissions mondiales que nous produisons.
Les changements climatiques sont une question, particulièrement épineuse, d’action collective. Autrement dit, il serait avantageux pour tout le monde que l’ensemble des pays adoptent des mesures sérieuses pour décarboniser véritablement la planète. Cependant, aucun pays n’ose trop se distancer des autres. Cette logique n’est pas absurde – sachant que l’action collective comporte son lot de défis –, mais elle n’est pas irréfutable non plus.
Voici trois moyens pour le Canada d’influencer l’action mondiale contre les changements climatiques tout en faisant valoir ses propres intérêts.
1. Promouvoir la technologie propre ailleurs
Le Canada peut aider à réduire la pollution mondiale en développant des innovations technologiques dont les avantages s’étendraient au-delà de ses frontières. Voici un scénario possible :
- Une politique climatique canadienne intelligente stimule l’innovation propre en initiant des ingénieurs, entrepreneurs et investisseurs brillants à de nouvelles technologies ou méthodes de réduction des émissions à faible coût qui seront profitables dans les années à venir. En encourageant les entreprises et les ménages canadiens à adopter des technologies et des procédés de réduction de la pollution, la politique nationale crée une demande pour des innovations sobres en carbone.
- La demande croissante du marché, l’intensification de la production et la férocité de la concurrence favorisent ensemble un développement des apprentissages et une réduction encore accrue des coûts, et toute cette innovation est bénéfique pour les objectifs de réduction des émissions au Canada.
- Par ailleurs, cette innovation peut rendre la réduction d’émissions plus facile et moins chère ailleurs, c’est-à-dire qu’il y a accélération de l’action climatique mondiale (ce qui amplifie celle du Canada). En parallèle, de nouvelles possibilités économiques peuvent donc s’ouvrir pour les innovateurs canadiens dans les marchés internationaux.
Prenons l’exemple de l’énergie éolienne et solaire. L’Allemagne était autrefois le marché le plus dynamique grâce à ses politiques de tarif de rachat garanti pour l’énergie renouvelable. La Chine a ensuite pris la tête quand son gouvernement a investi une somme importante dans l’électricité renouvelable afin de réduire la pollution de l’air.
La demande excédentaire, stimulée par ces deux pays (et d’autres), a entraîné une augmentation de la production, et donc de la concurrence, ce qui a aidé à réduire les coûts généraux de la production d’énergie renouvelable dans un délai relativement court. Il y a vingt ans, l’électricité éolienne et l’énergie solaire étaient des options coûteuses pour réduire la pollution, mais aujourd’hui, elles entrent en concurrence directe avec les combustibles fossiles pour ce qui est des prix.
L’accroissement de la production nationale d’énergie renouvelable semble aussi avoir donné lieu à de nouvelles occasions d’affaires à l’international. En 2017, six des dix fabricants principaux d’éoliennes étaient allemands ou chinois. Aujourd’hui, c’est plus de 70 % des fabricants de panneaux solaires qui sont chinois. Si ces résultats à eux seuls ne prouvent pas qu’il existe un lien de cause à effet entre les politiques nationales et les parts du marché international d’un pays, ils corroborent toutefois l’hypothèse d’une corrélation.
2. Faire rayonner les politiques climatiques
Tant au Canada qu’ailleurs, il n’est pas facile de choisir et de concevoir une politique climatique avisée. Il faut faire des compromis, considérer l’économie, l’emploi, le budget, les coûts pour les contribuables, et les conséquences d’une insuffisance des mesures.
Mais quand on réussit à surmonter tous ces obstacles – et quand les politiques réussissent véritablement – il y a des répercussions au-delà de nos frontières. Si les gouvernements canadiens réussissent à élaborer des politiques efficaces tout en répondant à ces préoccupations, le monde entier voudra connaître les détails. C’est ainsi qu’une politique réussie au Canada peut stimuler l’action climatique à l’étranger.
Par exemple, les mesures d’abandon graduel de l’électricité au charbon ont considérablement réduit les émissions au Canada (et amélioré la qualité de l’air), mais elles ont aussi fait écho ailleurs dans le monde. En 2017, le Canada a usé de son leadership pour s’unir au Royaume-Uni et fonder l’Alliance : Énergiser au-delà du charbon. L’Alliance encourage les autres pays à mettre en place des politiques semblables. À ce jour, 30 pays et plus de 50 gouvernements infranationaux, entreprises et autres organisations se sont joints à la coalition.
3. Influencer les politiques climatiques à l’étranger
Le Canada emploie aussi des moyens plus directs pour influencer les politiques climatiques d’autres pays.
Les « clubs climat» qu’on voit apparaître en sont un. Ces petites coalitions de pays mutuellement profitables aux différentes nations, dont le Canada, facilitent la coordination des politiques en matière de climat et d’innovation ainsi que la concertation des institutions.
En d’autres termes, les clubs climat sont des plateformes potentielles pour promouvoir les technologies propres. David Victor, professeur à l’Université de Californie, note: « La force des clubs réside dans la capacité des petits groupes à développer et à mettre en place des solutions aux problèmes complexes, et aussi dans la popularisation de ces solutions. »
Les clubs climat encouragent aussi le rayonnement des politiques climatiques. Par exemple, Emil Dimantchev, chercheur au MIT, explique dans un article comment ces politiques ont évolué dans l’Union européenne. Malgré son utilisation massive d’électricité à base de charbon, la Pologne était prête à mettre un prix sur les émissions de carbone, puisque c’était une condition pour faire partie de l’UE. C’est donc par des incitatifs économiques que l’UE a pu propager des politiques climatiques de taille.
L’ajustement carbone aux frontières a une influence encore plus directe. Il consiste à imposer des frais sur les émissions de gaz à effet de serre générées par les produits importés d’autres pays. Ce système de tarification pourrait être un facteur de motivation important pour les partenaires commerciaux du Canada, qui adopteraient alors des politiques climatiques contraignantes afin d’éviter les taxes sur leurs produits polluants. Vu la taille de son marché et la complexité de la politique, il serait difficile pour le Canada d’imposer unilatéralement l’ajustement carbone aux frontières, mais si l’UE et les États-Unis se mettent de la partie, la politique climatique canadienne pourrait pencher dans la balance de la réduction mondiale de la pollution. Du même coup, l’ajustement carbone aux frontières pourrait aplanir la concurrence en matière de financement international et de parts du marché.
Le Canada, le carbone, et le monde
Oui, seule une action mondiale contre les émissions de carbone pourra nous éviter une catastrophe climatique. Mais le Canada a le pouvoir d’influencer les politiques à l’étranger. Si nous pouvons élaborer et mettre en place une politique climatique avisée, nous pourrons réduire la pollution chez nous, stimuler l’action mondiale et être prêts pour les occasions qu’entraînera l’évolution de l’économie mondiale.