S’embourber volontairement

Les terres humides du Canada : la kryptonite des changements climatiques

Il s’agit d’un atout valant des milliards de dollars, dont le quart des réserves mondiales se trouve chez nous, au Canada. On parle ici des terres humides, les joyaux sous-évalués de notre écosystème. On en sait bien peu sur l’étendue de leur utilité tant pour l’économie canadienne que pour l’équilibre de notre environnement naturel. Par conséquent, et peut-être parce qu’on ne leur associe pas la même majesté qu’aux forêts ou aux prairies, elles sont généralement tenues pour acquises. Profitons donc du 2 février, la Journée mondiale des zones humides, pour en apprendre davantage sur ce que ces terres ont à offrir.

Un atout en réserve

Il est difficile d’exagérer les bienfaits des terres humides pour les Canadiens : elles génèrent, directement et indirectement, des milliards de dollars pour l’économie, et procurent des avantages dans divers domaines comme la lutte contre les inondations, l’assainissement de l’eau, la pêche et même les loisirs, pour n’en nommer que quelques-uns. Pour la planète, le fait qu’elles filtrent si bien la pollution dans l’air et dans l’eau a valu aux terres humides le surnom de « reins de la Terre ». Au Canada, on apprécie la valeur des terres humides selon différents facteurs comme le lieu, les habitats naturels, les ressources disponibles et leur utilité. Par exemple, une étude établit la valeur actuelle d’une zone de terres humides du sud de la Saskatchewan à 1,8 million de dollars par an, en se basant sur son utilité. Ce chiffre pourrait grimper jusqu’à 2,5 millions de dollars par an si cette zone était entièrement réhabilitée.

Mis à part leurs immenses avantages économiques et écologiques, les terres humides jouent un rôle essentiel dans la lutte contre les changements climatiques. Les tourbières, par exemple, couvrent seulement trois pour cent de la surface de la Terre, mais elles emmagasinent deux fois plus de carbone que les forêts. Cela signifie que le Canada pourrait se doter d’une stratégie d’atténuation des émissions de carbone efficace simplement en protégeant les terres humides qu’il lui reste. À l’inverse, si les terres humides continuent de s’assécher, nous ne perdrons pas seulement notre capacité à capturer le carbone, nous augmenterons aussi nos émissions parce que le carbone emmagasiné sera relâché dans l’atmosphère.

Mais les terres humides ne servent pas qu’à l’atténuation; elles peuvent aussi servir à nous adapter aux changements climatiques. Plus la planète se réchauffera, plus les précipitations augmenteront et les phénomènes météorologiques extrêmes empireront. En incorporant des terres humides dans nos aménagements urbains, nous pourrions nous éviter d’avoir à développer des infrastructures coûteuses, et pourrions aussi contrôler les surplus d’eaux de ruissellement et même maîtriser l’érosion côtière. Les terres humides représentent un outil d’adaptation naturel peu coûteux, comme le montre le projet d’aire de gestion du bassin versant du lac Pelly’s à Holland, au Manitoba.

Des zones à risque

Plus de 13 % du Canada (1,3 million de km2) est considéré comme un écosystème de milieu humide, un terme générique qui regroupe les marais, les marécages, les tourbières hautes et les tourbières basses. Au pays, la plupart des terres humides se trouvent dans le Bouclier boréal (25 %), les Plaines hudsoniennes (21 %) et les Plaines boréales (18 %).

Bien que leur étendue semble vaste, en réalité, il ne reste qu’une fraction des zones humides d’autrefois. Bon nombre de régions ont perdu plus de 50 % de leurs écosystèmes de milieux humides, un chiffre qui atteint les 98 % dans les centres urbains. Dans les Prairies, l’agriculture, la construction et les industries extractives ont détruit jusqu’à 70 % des milieux humides. Ce n’est qu’en 1980, quand la population nord-américaine de sauvagines a soudainement chuté, que les gouvernements ont mis en place des mesures pour protéger leurs habitats naturels.

Aujourd’hui, les changements climatiques – synonymes de réchauffement, de perturbation des précipitations et d’augmentation de la fréquence et de l’intensité des tempêtes – représentent une menace encore plus grande pour les terres humides. Les feux de forêt près des tourbières hautes sont particulièrement dangereux puisque la tourbe est inflammable et qu’elle peut relâcher dans l’atmosphère le carbone qu’elle emmagasine. Le drainage des eaux, la pollution, l’urbanisation continue et les espèces envahissantes s’ajoutent aux dangers qui pèsent sur notre précieuse ressource.

Protéger ce qui reste

Les bienfaits des terres humides deviennent de plus en plus évidents au fil du temps. En fait, si on les protège et les gère adéquatement, leur valeur peut augmenter avec les années, contrairement aux infrastructures construites, qui, elles, tendent à perdre de leur valeur avec l’âge.

Oui, le Canada a perdu une bonne partie de ses terres humides, mais les mesures pour les protéger et les réhabiliter sont en plein essor. À ce jour, 37 milieux humides sont officiellement protégés au pays. Depuis 1986, plus de 2,5 milliards de dollars ont été investis dans la préservation des terres humides canadienne par l’entremise du Plan nord-américain de gestion de la sauvagine. L’an dernier, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il investirait une somme supplémentaire de 10 millions de dollars sur deux ans pour réhabiliter 10 000 hectares de terres humides.

Ce sont là des pas dans la bonne direction. Vu le renouvellement et l’intensité des menaces pour nos milieux humides, il faut redoubler de vigilance pour assurer la longévité d’un des atouts les plus précieux de la planète. C’est le cas de le dire : il faut s’embourber volontairement!

Crédit photo: Drew Brayshaw, via Flickr, CC-BY-NC 2.0


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