Semer des graines

L’établissement des bonnes relations avec les Autochtones comme processus de protection de l’environnement

Publié dans le cadre de notre série Perspectives Autochtones présentant des initiatives menée par des Autochtones pour lutter contre et répondre aux conséquences des changements climatiques.

Introduction

Partout au Canada, le leadership autochtone est de plus en plus reconnu comme un élément essentiel de la lutte contre les changements climatiques (CAT, 2021) : les connaissances et les pratiques de gestion de la Terre1 des Autochtones englobent des processus réputés comme étant efficaces et durables, et rappelons que 80 % de la biodiversité restante dans le monde sont concentrés sur des Terres gérées par des Autochtones (Ottenhoff, 2021; Sobrevila, 2008).

Les visions du monde autochtones offrent une perspective différente sur la résilience sociale devant les changements environnementaux, perspective fondée sur les relations morales de responsabilité qui lient les humains aux animaux, aux plantes et aux habitats. Non seulement ces pratiques responsables assurent-elles la pérennité des biens et des services de l’écosystème pour les générations à venir, mais aussi, le plus important, elles sont fondées sur des qualités morales qui leur sont essentielles : la confiance, le consentement et la réciprocité. C’est en nous appuyant sur ces qualités morales que nous pouvons nous fier les uns sur les autres lorsque nous sommes confrontés à des changements environnementaux (Whyte, 2018).

À une époque où les gouvernements reconnaissent leur échec à remplir leurs obligations envers les peuples autochtones (UBCIC, s. d.), les organisations et organismes de partout doivent savoir comment mettre le leadership autochtone à contribution pour revitaliser et protéger les environnements communs dans les régions urbaines et périurbaines. Les changements climatiques menacent l’infrastructure naturelle urbaine dont nous dépendons pour une multitude de services, et l’urbanisation resserre de plus en plus l’étau autour de nos espaces naturels. Il est crucial de mieux protéger et gérer ces espaces naturels pour assurer le bien-être de tous les êtres, humains ou non.

La présente étude de cas porte sur l’évolution d’une initiative locale menée par des Autochtones dans le territoire de la rivière Grand, au sud de l’Ontario, dans les basses terres du lac Érié, une écorégion désignée comme « critique » (Kraus et Hebb, 2020). À travers trois histoires décrivant la création de relations distinctes avec le collectif Wisahkotewinowak (Wisahkotewinowak, 2021a), une initiative urbaine de souveraineté alimentaire autochtone, nous illustrons la manière dont le leadership autochtone peut accroître les efforts communautaires visant à transformer nos espaces sociaux, environnements bâtis et climats écologiques communs :

  1. en trouvant des possibilités d’utilisation de la Terre dans les espaces urbains naturels;
  2. en imaginant et en créant des espaces pour l’apprentissage axé sur la Terre;
  3. en faisant grandir la communauté et en la mobilisant pour favoriser la biodiversité locale et les adaptations sociales (Indigenous Climate Hub, 2020);
  4. en améliorant les pratiques de souveraineté alimentaire autochtone pour qu’elles favorisent le bien-être communautaire.

Nous soutenons que ces relations en évolution font intervenir des processus essentiels à la prise de mesures robustes et concrètes contre les changements climatiques, que ce soit en mettant l’accent sur les approches autochtones pour prendre soin de la Terre ou en faisant progresser les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation par le rétablissement des relations des peuples autochtones avec la Terre et des voies vers le bien-être. 

La Commission de vérité et réconciliation du Canada exige explicitement la prise de mesures qui comblent les lacunes d’équité en matière de santé, notamment en sécurité alimentaire (CVR, 2015). Les répercussions qu’entraînent les changements climatiques, telles que les vagues de chaleur et les pluies extrêmes, toucheront les systèmes et la sécurité alimentaires à l’échelle locale, des facteurs déterminants de la santé, en influant sur l’accessibilité, la distribution et la salubrité des aliments (Zeuli et coll., 2018; Schnitter et Berry, 2019). Cependant, la définition de la sécurité alimentaire dans divers contextes autochtones ne devrait pas être limitée au fait d’avoir assez de nourriture pour se nourrir ou assez de fonds pour acheter des aliments transformés, qui peuvent être plus accessibles. Pour rétablir des relations durables avec la Terre, la culture et les communautés et faire progresser les efforts de réconciliation et de justice sociale et environnementale, la résurgence des rôles et des responsabilités communautaires est nécessaire (Cidro et coll., 2015). Comme soutient le chercheur en droit autochtone John Borrows (2018), « la réconciliation entre les peuples autochtones et la Couronne exige notre réconciliation collective avec la terre » (p. 49). Ces constats sont particulièrement importants dans les endroits et les espaces urbains et périurbains où les environnements naturels sont peu nombreux et plus exposés aux répercussions de l’urbanisation et des changements climatiques.

Les histoires qui seront présentées ici illustrent ces initiatives locales. Nous conclurons avec une série de pratiques exemplaires et de recommandations pour guider les autres groupes, les institutions, les gouvernements et les autres décideurs souhaitant s’adonner à un travail semblable dans des environnements diversifiés.

Préparer le terrain

Il y a plusieurs années, lors d’une excavation dans la région des Grands Lacs, on a découvert un pot en terre cuite contenant de minuscules graines de tabac noir, peut-être cultivées autrefois par les Tionontati, qui faisaient pousser du tabac sous l’escarpement du Niagara (Ramsden, 2020). Ces graines, données en cadeau aux peuples autochtones d’aujourd’hui vivant à Kitchener, en Ontario, ont fini par tomber entre les mains de Dave Skene, un Métis de la ville qui jardinait pour se rapprocher de son identité autochtone même en milieu urbain. En 2014, Dave a planté ces toutes petites graines dans le sol, sachant qu’elles auraient seulement besoin d’eau et de lumière pour pousser.

Pour grandir, une graine a besoin de l’environnement adéquat. Elle a besoin des nutriments de la Terre, de l’humidité de l’Eau et de la chaleur du Soleil. Tous ces éléments, les conditions nécessaires pour l’épanouissement de la nouvelle vie, agissent ensemble pour que s’amorce la germination.

Dave a continué de jardiner et a recueilli d’autres graines traditionnelles, dont des graines de maïs blanc provenant de la nation voisine Haudenosaunee. Avec un groupe d’étudiants autochtones de la région, il a lancé son premier projet de jardin communautaire, a pris soin de ses fruits et les a récoltés. Il fallait trouver un nom à ce nouveau projet; Dave est tombé sur le mot Wisahkotewinowak, qui signifie « la croissance des nouvelles pousses vertes qui naissent de la Terre après qu’un feu l’a balayée ».Un nom tout indiqué vu l’objectif du jardin, qui était de revitaliser les pratiques autochtones axées sur la Terre. La nouvelle vie a jailli de ce nouvel endroit et parmi les personnes qui y ont contribué, ce qui a revitalisé les connaissances sur la Terre et la relation avec celle-ci.

La graine cultivée donne naissance à la pousse, qui émerge de la surface de la Terre. À ce moment, la pousse sait qu’elle croîtra à cet endroit, qu’elle s’enracinera dans le sol et s’élancera vers le Soleil. À cette étape de croissance, le bon environnement est essentiel : il faut les bonnes conditions et les bons aidants, comme d’autres plantes pour partager les ressources, et, parfois, des mains humaines pour rectifier les lacunes de l’écosystème.

Peu après son lancement, Wisahkotewinowak est devenu trop grand pour son emplacement initial. Ainsi, en 2017, Dave et les professeures universitaires Hannah Tait Neufeld et Kim Anderson ont commencé à réfléchir à la manière de soutenir la santé des communautés autochtones en milieu urbain par la souveraineté alimentaire autochtone et l’accès à la Terre. Grâce à leur collaboration et à leurs réseaux de contacts, de nouveaux jardins ont été établis partout dans la région : à la Steckle Heritage Farm, au Guelph Organic Centre de l’Université de Guelph et à l’Université de Waterloo. Également, le printemps dernier, le personnel de la White Owl Native Ancestry Association (Garrison, Sarina et Dave) a créé un jardin d’apprentissage autochtone au Blair Outdoor Education Centre.

Grâce au soutien global du milieu, la pousse peut devenir une plante. Et à partir de ce moment, la plante est en mesure de participer en partageant pleinement avec sa communauté. Tout d’abord, elle fleurit, invitant les pollinisateurs à se nourrir de son nectar et à transporter son pollen à d’autres sœurs plantes de partout. Ensuite, elle offre ses fruits comme nourriture pour ses frères animaux. Finalement, à partir des fruits non consommés, la plante crée des graines contenant la prochaine génération de vie, prêtes à être recueillies, partagées et plantées.

Le collectif Wisahkotewinowak a grandi avec chaque nouveau jardin et a nourri ses relations communautaires. Des espaces significatifs ont été créés dans ces sites, et nous avons accueilli de nouveaux étudiants, universitaires, activistes et Aînés qui souhaitaient participer. Les auteurs de la présente étude de cas sont le noyau du collectif, des Autochtones (membres de Premières Nations et Métis) et des colons alliés qui occupent diverses fonctions : jardiniers, chercheurs et universitaires, enseignants et éducateurs, étudiants et apprenants à vie. En tant que collectif, nous entretenons des liens avec beaucoup de jeunes, d’étudiants, de familles, d’Aînés et d’êtres non humains aux endroits qui assurent notre subsistance. Nous sommes reconnaissants de cultiver la Terre et d’en prendre soin dans nos différents jardins, situés dans les territoires des peuples Attawandaron (Neutre), Anishinaabe et Haudenosaunee, et les territoires cédés en vertu d’un traité de la Première Nation mississauga de New Credit et la concession de Haldimand des Six Nations de la rivière Grand. Notre lien avec les jardins est aussi associé aux terres protégées par l’accord dit du « bol à une seule cuillère », que nous nous efforçons de respecter en ne prenant que ce dont nous avons besoin, en laissant de quoi aux autres et en gardant le bol propre.

Nous commençons à voir les fruits de notre labeur maintenant que nous élaborons des processus d’établissement de relations, que nous offrons des aliments à la communauté et que nous continuons à cultiver et à récolter des aliments de manière autonome partout dans nos municipalités de Waterloo Wellington.

Bannière conçue par Amina Lalor.

1. Créer des occasions locales : White Owl Sugar Bush

En 2016, le personnel de la White Owl Native Ancestry Association a été invité à donner une conférence à l’Emmanuel United Church de Waterloo, en Ontario, qui avait fait un don aux camps d’été de White Owl pour les enfants et les jeunes autochtones de la région. La conférence portait sur des activités de ces camps. Par la suite, un membre du conseil de l’église a demandé si la congrégation pouvait faire autre chose pour soutenir le travail de White Owl. Michelle Sutherland, codirectrice générale de l’organisme et conférencière lors de l’événement, a répondu : « Vous pourriez nous donner des Terres. »

Il s’est avéré que l’église possédait une parcelle de Terre; elle l’a donc offerte à White Owl (McFarlane Miller, 2020). La United Church avait acheté 10,5 acres de Terre dans les années 1960 avec l’intention d’y bâtir une nouvelle église. Ces plans ont toutefois été contrecarrés par la présence de la salamandre de Jefferson, une espèce en voie de disparition : la Ville de Kitchener a désigné cette Terre comme site protégé. On estime que seulement 3 000 salamandres de Jefferson génétiquement pures existent au Canada, dans les régions boisées matures de l’escarpement du Niagara et de la forêt carolinienne, qui recèlent des flaques printanières ou des étangs temporaires idéaux pour la reproduction (COSEPAC, 2010). L’ancienne Terre de l’église représentait l’environnement parfait pour les salamandres. Comme elle comprenait une forêt mixte composée d’érables, de chênes, de hêtres et de quelques pins, les dirigeants de White Owl ont vu son potentiel pour l’organisation de rassemblements communautaires et de cérémonies, et ont su que le collectif Wisahkotewinowak souhaiterait recueillir la sève des érables. Il a fallu un an pour que le processus juridique se termine. Une cérémonie a été tenue en 2017 avec les dirigeants de White Owl et de l’Église Unie du Canada pour marquer le transfert officiel de la propriété de la Terre. Le site est maintenant connu comme la White Owl Sugar Bush (l’érablière White Owl).

En 2020, 100 érables ont été entaillés sur la Terre de White Owl, et l’Association a offert de l’eau d’érable aux Aînés de la communauté à des fins cérémonielles et a fait bouillir le reste, produisant 110 litres de sirop qui ont été distribués dans le cadre du programme de distribution d’aliments de White Owl, lequel favorise l’accès à des aliments autochtones et à d’autres produits locaux pour les membres des communautés autochtones de la région (Wisahkotewinowak, 2021b). La saison de reproduction des salamandres de Jefferson coïncide avec les premières journées chaudes du début du printemps, quand l’eau sucrée commence à couler dans les érables. Lorsque le collectif Wisahkotewinowak se rassemble à l’érablière pour célébrer cet éveil annuel, nous entrons en relation à la fois avec l’Érable et avec la Salamandre : nous nous engageons à comprendre ces êtres non humains en faisant preuve de respect, de réciprocité et de gentillesse, que nous maintenons par la communication continue, le consentement et la sensibilisation. En produisant du sirop d’érable, nous établissons un sentiment d’appartenance et de souveraineté de la Terre, que nous renforçons en prenant soin de la diversité de vie que recèle l’érablière et en la protégeant, préservant ainsi cette partie de la forêt de l’aménagement effectué à proximité. De plus, nous travaillons à protéger les érables, qui sont menacés par les changements climatiques (GreenUP, 2021). Comme le savoir des Autochtones et les réalités qu’ils vivent dans leur relation avec l’environnement sont intrinsèquement liés à la nature, ils offrent plusieurs solutions pour atténuer les changements climatiques et contribuent à soutenir et à faire avancer les efforts de réconciliation, qui bénéficieront au bien-être de la communauté dans son ensemble.

Vidéo : Christina De Melo

L’aménagement des terres agricoles en banlieues est un rappel constant de l’importance de la préservation culturelle et naturelle visant la restauration des écosystèmes. En trouvant et en saisissant des occasions de réparer les relations avec la Terre dans les espaces naturels urbains (ce que certains appellent « espaces sous-utilisés »), nous faisons plus que de la conservation : nous protégeons la biodiversité restante et soutenons la revitalisation du savoir autochtone, qui nous enseigne des façons d’être et de faire régénératrices et relationnelles pour mieux lutter contre les changements climatiques.

2. Apprendre sur la Terre : partenariats avec des établissements d’enseignement

La reconnaissance croissante des changements climatiques peut être paralysante, surtout pour les jeunes autochtones et les jeunes adultes (Majeed et Lee, 2017; Mackay et coll., 2020). Nous pouvons atténuer la détresse des jeunes gens de nos communautés en les faisant participer à des projets qui font la promotion des liens avec l’endroit, la culture et la communauté (Clayton et coll., 2017). Dans les dernières années, l’apprentissage autochtone axé sur la Terre a été adopté par plusieurs établissements postsecondaires du Canada (Peach et coll., 2020; Brandon, 2012).Selon les systèmes de connaissances autochtones, notre santé est à l’image de celle de notre environnement : par conséquent, notre collectif traite de pratiques durables axées sur la Terre dans divers contextes, et collabore avec des établissements d’enseignement tels que l’Université de Guelph, l’Université de Waterloo et le Collège Conestoga. Depuis le printemps 2018, nous avons établi, avec l’aide de la communauté autochtone locale, des jardins à la ferme biologique de l’Université de Guelph et sur le campus de l’Université de Waterloo, et sommes en train d’en planifier un pour le Collège Conestoga. Le but est d’éliminer les obstacles à la connaissance et à l’accès aux aliments et d’explorer de nouvelles pratiques éducatives et durables axées sur la Terre qui renforcent le bien-être et favorisent la décolonisation de nos environnements bâtis et sociaux.

Avec l’aide des partenaires communautaires autochtones, les étudiants s’adonnent à du travail manuel : ils prennent soin des jardins d’aliments et de plantes médicinales autochtones aménagés dans les établissements postsecondaires. Ce travail nous permet de nous concentrer sur le retour à la Terre dans divers espaces urbains et de nouer des relations réciproques en établissant des partenariats avec la communauté autochtone de la région, ainsi qu’avec les Aînés des Six Nations de la rivière Grand dans le cadre d’un projet de recherche de plus grande envergure (Roberts, 2018). Les connaissances communes tirées de cette recherche contribueront à éliminer les obstacles par la sensibilisation, l’élargissement du rayonnement et le changement des perceptions des environnements physique ou bâti au-delà des espaces cliniques et institutionnels.

Nous avons également commencé à collaborer avec le Waterloo Region District School Board et sommes en train d’aménager un jardin au Blair Outdoor Education Centre. La superficie de ce jardin s’est décuplée de 2019 à 2020, passant de 11 à 270 mètres carrés, ce qui a accru sa capacité et les occasions d’apprentissage pour les étudiants qui y passent du temps. Résultat, 475 étudiants ont pu bénéficier des enseignements du centre entre septembre et décembre 2019. Bien que le nombre de participants ait diminué en raison de grèves dans la région et de la COVID-19, on estime qu’un total de 1 625 étudiants aurait participé de septembre 2019 à juin 2020. En outre, ce jardin a produit des aliments en abondance, qui ont été offerts à un programme de distribution hebdomadaire d’aliments dirigé en collaboration avec la White Owl Native Ancestry Association. Nous estimons qu’environ 330 kilogrammes d’aliments ont été récoltés dans ce jardin d’août à novembre 2020 et ont été distribués à 31 foyers, pour un total d’environ 250 personnes.

Des jardins et des camps axés sur la Terre font partie des activités de la Steckle Heritage Farm, au sud de Kitchener, depuis le printemps 2017. La ferme, désormais en milieu urbain, est un site éducatif dirigé par une organisation communautaire à but non lucratif visant à offrir des programmes sur l’agriculture, l’environnement et la culture aux enfants et aux familles de la région de Waterloo. Outre des visites scolaires et des camps de jour, ont aussi eu lieu sur ce site des camps pour les jeunes autochtones organisés par la White Owl Native Ancestry Association, axés sur les pratiques autochtones de jardinage et de préparation des aliments. Ces pratiques comprennent divers processus, comme la nixtamalisation du maïs blanc haudenosaunee, le tannage des peaux de chevreuil et la conservation des tomates cherokee. De manière plus profonde, ces pratiques axées sur la Terre protègent les environnements locaux, atténuent les risques et donnent aux jeunes autochtones en milieu urbain (et à d’autres personnes) un moyen de renforcer leur relation innée avec la Terre nourricière en en prenant soin, en améliorant leurs connaissances par la plantation de graines ancestrales, et en interagissant concrètement avec les aliments qu’ils consomment et partagent avec les autres.

3. Bâtir des communautés dans les espaces urbains : Uniroyal Goodrich Park

Le Uniroyal Goodrich Park de Kitchener, en Ontario, est niché dans un quartier communautaire situé non loin d’une autoroute centrale qui longe la rivière Grand. Il est doté d’un jardin communautaire florissant entouré d’arbres divers. En 2018, on a prévu la réfection du parc pour renforcer le mur de soutènement, évaluer l’aménagement d’un bassin-miroir et ajouter de la végétation ainsi qu’un sentier planifié par la Ville. À mesure que progressaient les discussions sur ces plans, le groupe de quartier a souhaité nouer des liens avec la communauté autochtone locale et solliciter son point de vue pendant la réfection. L’une des responsables du groupe de quartier et agente de liaison de la Ville, Sarah Anderson, a alors communiqué avec Dave, qui a accueilli avec plaisir cette relation, voyant là la possibilité d’aménager un verger pour soutenir les efforts de souveraineté alimentaire autochtone du coin.

En 2019, ces relations ont continué à évoluer, et les responsables du parc ont proposé de créer un foyer cérémoniel. White Owl a organisé des camps de jour d’été pour les enfants et les jeunes autochtones dans ce parc. Un événement de cabane à sucre était prévu pour le printemps 2020, mais a été annulé à cause de la pandémie de COVID-19. Malgré l’absence de rassemblements en personne, les représentants de la communauté et de la Ville sont restés attachés à la transformation du parc. Ils ont réimaginé l’espace pour le rendre plus naturel, et ont cherché à y incorporer plus d’espèces indigènes, à y ajouter de nouvelles infrastructures et de l’art communautaire, et finalement à créer un espace de croissance pour les plantes et les communautés autochtones. En automne 2020, des érables, des asiminiers et des amélanchiers ont été plantés. Des plans sont aussi en cours d’élaboration pour accroître la biodiversité locale.

Cette histoire est la preuve que la Terre peut rassembler différents groupes et relations pour que soient prises des mesures et des décisions dans l’intérêt de l’environnement local ou du milieu communautaire. La Terre nous donne un terrain commun, littéralement, pour nous rassembler. Au fur et à mesure de ce processus, les relations continuent de croître entre la Ville de Kitchener, le groupe de quartier et notre collectif autochtone. C’est pour cette raison que Wisahkotewinowak discute actuellement d’autres sites municipaux à transformer collectivement au bénéfice de la communauté (pour les êtres humains et non humains). Ces liens sèment d’autres relations et pollinisent les idées pour favoriser la réconciliation, autant entre nous qu’avec la Terre. Nous continuons de nourrir ces relations (avec les êtres humains et non humains) et prévoyons l’ajout de plantes et d’arbres fruitiers pour pollinisateurs dans le parc (Anderson, 2020). Par ces processus d’adaptation et de restauration, nous visons à tenir compte de toutes nos relations, qui méritent un endroit à elles où s’épanouir, ralentissant ainsi la perte de biodiversité que causent les répercussions des changements climatiques. Nous avons hâte au jour proche où nous pourrons nous rassembler en communauté, célébrer ces relations tous ensemble et continuer de faire preuve des qualités morales de responsabilité envers la Terre et entre nous.

Continuer de grandir et d’apprendre grâce à la Terre et la communauté

Comme en témoignent les histoires présentées, le collectif Wisahkotewinowak s’engage dans des projets novateurs qui montrent comment les initiatives dirigées par des Autochtones peuvent englober à la fois des mesures durables de protection de l’environnement et des activités soutenant des mouvements locaux (comme O:se Kenhionhata:tie). Tout au long de son évolution, le collectif a saisi des occasions en créant des endroits et des espaces d’apprentissage communautaire axé sur la Terre, et a protégé et amélioré la biodiversité locale. Ces actions ont été rendues possibles par des processus de protection de l’environnement, par exemple l’établissement de relations qui favorisent le bien-être écologique commun avec toutes nos relations : les personnes, les plantes, les animaux et la Terre. Nos trois histoires montrent comment les relations établissent des processus qui forment le fondement des mesures transformatrices qui bénéficient à nos environnements sociaux, bâtis et écologiques communs.

En tant que collectif, nous continuons de réfléchir à nos responsabilités et à notre position par rapport aux territoires locaux. Nous prendrons toujours soin de la Terre et encouragerons d’autres organisations à contribuer à cette histoire vivante de tissage de liens et de décolonisation. Les relations demandent du temps, de l’énergie et de la responsabilisation, et lorsqu’elles sont pleinement mises à profit, elles peuvent semer d’autres relations et idées pour favoriser la réconciliation avec la Terre et entre nous. Nous pensons que ce travail serait applicable à des communautés autochtones urbaines et aurait le potentiel d’orienter l’élaboration de politiques à tous les niveaux et d’autres systèmes de gouvernance au-delà des structures coloniales. Nos recommandations s’articulent autour du modèle de la graine, illustré ci-dessous, qui comprend quatre étapes essentielles : recevoir le don de la graine, planter la graine, cultiver la graine et récolter, conserver et partager la graine.

Receiving the Gift of the Seed = Recevoir le don de la semence
Planting the Seed = Planter la graine
Nurturing the Seed = Cultiver la graine
Harvesting, Saving and Sharing the Seed = Récolter, conserver et partager les semences

1. Recevoir le don de la semence C’est l’établissement d’une relation enracinée dans la compréhension des responsabilités, la reconnaissance des occasions et la vision des possibilités. Avant de planter la graine, nous devons évaluer l’environnement local pour nous assurer qu’elle aura de bonnes chances de grandir, tout en reconnaissant notre responsabilité de l’aider à réaliser son but ou son intention. Dans la communauté, nous pouvons amorcer des processus d’établissement de relations en consultant des organisations autochtones et des leaders locaux pour favoriser la génération d’idées et de réseaux soutenant la protection de l’environnement. Voici ce en quoi peuvent consister les premières étapes :

  • À l’échelle locale : Trouver des ressources, comme des fonds ou des espaces naturels considérés comme sous-utilisés, et offrir à des groupes autochtones la possibilité de les utiliser, accompagnée de l’autorité décisionnelle connexe.
  • Sur le plan des politiques : Créer des occasions d’établissement de réseaux et de partenariats entre les différentes sphères de compétence, et élaborer de nouveaux cadres favorisant la gouvernance des Autochtones.

2. Planter la graine. Cette étape a lieu lorsque nous sommes prêts à concrétiser la nouvelle vision. Les ressources nécessaires ont été obtenues, les relations sont établies et la responsabilité de soutenir la croissance de la graine est acceptée. Au moment de planter, il faut rassembler les conditions de ces éléments et les faire avancer en réalisant les étapes suivantes :

  • À l’échelle locale : Établir une communauté qui peut s’engager à l’égard des objectifs et voir à leur atteinte, notamment en veillant à ce que tous les partenaires du projet comprennent et acceptent les conditions de ce dernier, comme la durée, le pouvoir décisionnel et l’obtention des ressources nécessaires.
  • Sur le plan des politiques : Éliminer les obstacles à l’accès à la Terre et laisser de la place à la gouvernance autochtone en simplifiant les processus et documents juridiques de manière à appuyer le transfert des ententes relatives à la Terre et des fiducies.

3. Cultiver la graine. C’est un processus continu pendant la période de végétation : les besoins de la graine et les composants de son environnement sont établis par un cycle de planification, de surveillance, d’évaluation, d’intervention et de respect des responsabilités du nouveau réseau envers la graine. À cette étape du cycle, la confiance mutuelle est alimentée au sein du réseau de relations établies dans cet espace cultivé, où la graine s’appuie sur les relations réciproques pour sortir du sol et grandir jusqu’à sa maturité. Nous pouvons mettre ce processus en pratique par les moyens suivants :

  • À l’échelle locale : Établir et respecter les engagements envers les groupes autochtones par le développement continu de relations, et surmonter les problèmes dans l’intention de préserver les objectifs communs.
  • Sur le plan des politiques : Soutenir l’expansion du travail par l’apprentissage axé sur la Terre, avec des groupes institutionnels et d’autres groupes consultatifs ayant une représentation diversifiée (organisationnelle, culturelle et de genre), comprenant notamment des organisations autochtones.

4. Récolter, conserver et partager la semence. Cette étape peut avoir lieu lorsque la plante mature apporte de nouvelles possibilités. Quand ces cadeaux sont offerts en certaines saisons, nous pouvons récolter les graines en vue de les conserver et de les partager. Ainsi, nous devons reconnaître les occasions de prolonger la vie de la graine originale et de maintenir les cycles de croissance et les liens dans nos communautés des manières suivantes :

  • À l’échelle locale : Trouver des moyens de reproduire ou d’étendre des éléments du projet en renouvelant des relations existantes, en investissant dans celles-ci et en en établissant de nouvelles pour conserver les occasions jusqu’à ce que la capacité locale soit suffisante.
  • Sur le plan des politiques : Mettre l’accent sur les peuples et les savoirs autochtones dans les occasions nouvelles qui recoupent toutes les formes de gouvernance.

Le cycle de la graine se poursuit, tout comme ces processus relationnels visant des pratiques durables axées sur la Terre. Ces étapes continuent de s’étendre à travers toutes les formes d’apprentissage, vers l’amélioration de la santé et du bien-être des peuples autochtones vivant dans des milieux urbains diversifiés. Pour poursuivre la métaphore de la graine qui encadre notre expérience commune, la graine est un cadeau qu’il faut continuellement entourer de soin, tout comme les relations décrites dans les trois histoires. Ces deux éléments sont des entités tangibles que nous avons intentionnellement comparées : graine et relation ont un constant besoin d’énergie et d’intention et ont toutes deux le potentiel d’engendrer des occasions fructueuses. Surtout, la graine et son histoire en évolution doivent être traitées comme le cadeau qu’elles sont, un cadeau qui nous inspire à emprunter des voies concrètes vers la réconciliation et la protection de l’environnement.

Biographies des auteurs

Écrit par les membres du collectif Wisahkotewinowak 2

Elisabeth Miltenburg, M. Sc.

Nutrition humaine appliquée, Université de Guelph

Hannah Tait Neufeld, Ph. D.

Chaire de recherche du Canada en santé, bien-être et milieux alimentaires autochtones; professeure adjointe, École de santé publique et des systèmes de soins de santé, Université de Waterloo

Laura Peach, M.A.

Gestionnaire de projet de recherche, École de santé publique et des systèmes de soins de santé, Université de Waterloo

Sarina Perchak, B.A.

Coordonnatrice de la formation fondée sur la Terre, White Owl Native Ancestry Association

Dave Skene, M.A.

Directeur général, White Owl Native Ancestry Association

Références

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  1. Nous avons fait le choix conscient de mettre la majuscule à « Terre » dans la présente étude de cas pour souligner l’identité et la souveraineté de cette entité. Nous suivons des cosmologies autochtones précises qui reconnaissent la Terre comme la Mère, vivante et détenant du pouvoir.
  2. Les auteurs contribuant à ce chapitre comptent des membres centraux du collectif. Nous les avons intentionnellement classés en ordre alphabétique pour refléter la nature collective et non hiérarchique de notre travail commun. Pour en savoir plus sur l’initiative, visitez le https://www.wisahk.ca/.