Politiques climatiques : incertitude et solutions

Le Canada s’est donné comme objectif de porter la taxe carbone à 170 $ la tonne partout au pays d’ici 2030. Certaines firmes semblent toutefois hésiter à investir du capital dans des projets sobres en carbone de longue haleine et coûteux qui seraient tout de même rentables à 170 $. Pourquoi?

En un mot, la source de l’écart, c’est l’incertitude.

C’est une chose pour le gouvernement fédéral de fixer un objectif de 170 $ la tonne dans 10 ans. C’est une tout autre chose pour les firmes et les investisseurs d’avoir assez confiance pour faire dès maintenant d’importants investissements fondés sur cette future taxe, puisque le gouvernement pourrait modifier ses orientations d’ici là.

Les attentes quant au futur prix du carbone sont tout aussi importantes que son prix actuel. La future tarification joue en effet un rôle central dans l’établissement du taux de rendement de projets à forte intensité d’émissions. L’expectative d’une hausse de la taxe carbone, c’est aussi un incitatif aux innovations sobres en carbone, ce qui rend accessibles les paris risqués essentiels à l’atteinte de la carboneutralité au Canada. 

L’incertitude est un problème pour les décideurs parce qu’elle atténue l’aspect incitatif des politiques de tarification du carbone. C’est aussi un problème pour les entreprises qui ont besoin d’informations claires sur les politiques à venir alors qu’elles tentent d’attirer des investissements pour de nouveaux projets.

C’est un problème qui pourrait avoir une solution politique directe : miser sur la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) pour réduire le risque lié au fait d’investir massivement dans des projets à faibles émissions, en s’attaquant directement à l’incertitude entourant les politiques.

Voici comment : 

  • La BIC pourrait créer une sorte d’assurance pour les futurs incitatifs liés au carbone. En termes d’investissement financier, c’est un peu comme un contrat à terme sur une politique gouvernementale.
  • Pensez-y : la BIC agirait à titre de partenaire pour une firme cherchant à investir dans un projet à faibles émissions nécessitant beaucoup de capital, assumant ainsi une partie du risque en s’engageant en fonction de la valeur d’un projet, calculée en prévision de l’augmentation du prix du carbone. Si les politiques se resserrent avec le temps, la BIC empoche les bénéfices; si au contraire les gouvernements réduisent ou éliminent la tarification du carbone, c’est la BIC qui assume les pertes.
  • En pratique, la BIC pourrait opérationnaliser cette approche de deux manières : soit la BIC s’entend avec la firme pour échanger des paiements à une date ultérieure selon la différence entre les coûts attendus et les coûts réels des politiques, soit elle fournit un capital de départ au projet (un peu comme un prêt), mais fixe des obligations de remboursement qui dépendent de la rigueur des politiques à venir (et peut-être même de l’existence future de la BIC).
  • En résumé, la firme peut faire l’investissement comme si la tarification du carbone était fixe. C’est donc à elle que revient la décision d’investir – comme il se doit – alors que la BIC assume le risque lié aux politiques gouvernementales. Le problème lié à l’incertitude quant aux politiques n’a alors plus lieu d’être. 
  • Enfin, ce rôle correspondrait au mandat de la BIC – agir à titre de catalyseur des investissements privés – et ferait pencher la balance en faveur des investissements nécessaires. La BIC y arriverait en jouant le rôle pour lequel elle a été créée : réduire les risques liés au gouvernement. 

Il ne s’agit pas là de l’unique solution. Des contrats sur les prix des futurs permis dans des marchés de plafonnement et d’échange ont provoqué des échanges robustes qui ont permis aux participants de fixer la valeur des futures réductions des émissions par des contrats d’achat ou de vente. Notre proposition va un peu plus loin en permettant de répartir efficacement le risque, parce qu’aucune entité n’est mieux équipée pour assumer le risque de futurs changements aux politiques gouvernementales que le gouvernement lui-même, par l’intermédiaire de la BIC. 

Cette approche cible mieux l’incertitude liée aux politiques que les autres options. Les subventions et les crédits d’impôt ne permettent pas de résoudre ce problème précis : même s’ils permettent effectivement d’augmenter le rendement de certains investissements sobres en carbone, l’important escompte sur les futurs coûts ou bénéfices découlant de l’incertitude entourant le futur prix du carbone demeure. Ce sont donc des options plus coûteuses, qui obligent aussi du gouvernement à choisir des gagnants au lieu de laisser agir les forces du marché. 

Enfin, cette proposition assure aussi la durabilité des politiques. En assumant le risque lié à ces dernières, la BIC imposerait un coût aux futurs gouvernements qui choisiraient de réduire la tarification du carbone. Si le prix du carbone chutait de 170 $ à 50 $, par exemple, ce serait la BIC – et ultimement le gouvernement au pouvoir – qui assumerait les pertes. Cela créerait un engagement crédible envers l’orientation actuelle de la politique sur le carbone. Ainsi, toutes les firmes, pas seulement celles ayant des projets avec la BIC, auraient une incertitude moins grande à gérer. 

L’incertitude liée à la taxe carbone est un réel problème alors que le Canada chemine vers la carboneutralité. Nous espérons que cette proposition stimulera la recherche créative de solutions. 

Dale Beugin est vice-président, Recherche et analyse à l’Institut climatique du Canada, et Blake Shaffer est professeur adjoint à l’Université de Calgary et fellow en politiques énergétiques à l’Institut C.D. Howe

Texte publié à l’origine par l’Institut C.D. Howe.

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