Le vert est le nouveau gris

Les infrastructures naturelles, un atout de taille aux multiples avantages climatiques, environnementaux et sociaux

Lorsque vous pensez infrastructures, imaginez-vous des ponts et des routes? Et si on vous disait que les arbres au parc du quartier, le marais au coin de la rue et le jardin sur le toit de votre copropriété en sont aussi?

Les infrastructures, ce sont toutes les structures sous-jacentes qui assurent le fonctionnement de notre pays et de notre économie – et la nature est l’un de nos atouts les plus précieux. Dans un contexte de changements climatiques, sa place dans nos villes est de plus en plus cruciale. Les arbres, qui rafraîchissent et purifient l’air, contribuent à protéger les gens des pires effets des vagues de chaleur. Comme des éponges, les milieux humides absorbent l’eau en trop et la stockent temporairement, ce qui limite les inondations. Les toits verts collectent les eaux pluviales, diminuent la consommation d’énergie des bâtiments et deviennent un abri contre la chaleur. Les infrastructures naturelles peuvent faire tout cela et plus encore : séquestrer le CO2, protéger les oiseaux et la faune, et servir d’espace vert pour les loisirs et l’exercice.

Les infrastructures naturelles du Canada présentent une grande valeur – souvent sous-estimée –, dont les avantages dépassent la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Depuis des milliers d’années, les Autochtones tiennent compte de l’interdépendance entre nature et bien-être dans leurs pratiques de gestion durable des terres. Leurs initiatives et les partenariats qu’ils dirigent contribuent à faire rejaillir l’importance de la nature dans la prise de décisions.

Des infrastructures vertes, ou puiser dans la force de la nature

Trop souvent, les gouvernements de tous ordres favorisent les infrastructures grises (égouts, canalisations, barrages, etc.) au détriment des infrastructures naturelles. Résultat? Des investissements qui ne suffisent pas à protéger nos acquis et à regagner nos pertes. Pourtant, dans bien des cas, les infrastructures naturelles se révèlent plus économiques que les infrastructures grises et comportent un plus grand éventail d’avantages sociaux. Et contrairement aux infrastructures grises qui perdent de la valeur avec le temps, les infrastructures naturelles peuvent en prendre et même prolonger la durée de vie de leur pendant gris.

Trois études de cas – coréalisées par l’Institut climatique du Canada et l’Institut pour l’IntelliProspérité – jettent un éclairage utile sur les possibilités que recèlent les infrastructures naturelles en milieu urbain au pays. Une quatrième portant sur l’expérience de Wisahkotewinowak – un jardin collectif urbain autochtone dans la région de Waterloo-Wellington du sud-ouest de l’Ontario – sera publiée dans les prochaines semaines.

Les toits verts peuvent-ils aider les villes à faire face aux changements climatiques?
Les toits verts contribuent à rafraîchir l’air, à absorber l’excès d’eau et à réduire la consommation d’énergie tout en favorisant la biodiversité et en rendant les villes plus vivables.

Faire pousser la forêt en ville
Les forêts présentent de nombreux avantages pour les villes, notamment en offrant un refuge en cas de canicule, en séquestrant les émissions de gaz à effet de serre, en limitant les inondations et en procurant des bienfaits pour la santé mentale et physique.

Les terres humides comme infrastructures
La protection et la restauration des zones humides seront essentielles pour réduire les risques d’inondation liés au climat et ralentir la perte de biodiversité.

Des toits verts profitables à Toronto

La première étude de cas porte sur le programme de toits verts de la ville de Toronto. Adopté en 2009, ce programme a ouvert la voie au règlement municipal sur les toits verts, une première en Amérique du Nord, et au programme incitatif Eco-Roof. Le règlement oblige l’aménagement de toits verts sur les nouvelles constructions ou agrandissements de grands immeubles, tout en permettant une certaine flexibilité à réduire la couverture moyennant une pénalité versée au programme incitatif. L’argent amassé sert à financer les toits verts sur de plus petits bâtiments existants ainsi que ceux de conseils scolaires et d’organismes à but non lucratif. Le règlement a incité la construction d’environ 850 toits verts, soit un total de 750 000 m2 d’espace de toit vert, et l’incitatif a financé 336 projets.

Le verdissement de tous les toits plats de Toronto pourrait retrancher de 41,8 millions à 118 millions de dollars la facture attendue en infrastructures d’eaux pluviales. Si les promoteurs ne tiennent pas compte de ces avantages (ou de l’air et de l’eau purifiés, du rafraîchissement de la température ambiante, et de la protection des oiseaux et des pollinisateurs qui en résultera), ils pourraient toutefois être intéressés par la baisse des coûts de consommation énergétique ou l’augmentation de la valeur du bâtiment. L’aménagement résidentiel Sen̓áḵw de la Première nation des Squamish à Vancouver – qui vise expressément à célébrer la nature – laisse entrevoir les possibilités d’une conception réinventée des bâtiments.

La protection des milieux humides de l’Alberta : un moyen rentable de lutter contre les inondations

La deuxième étude porte sur le programme de régularisation des crues de rivières à Calgary, la politique sur les milieux humides de l’Alberta, et leur rôle dans la protection et la restauration des milieux humides du bassin de la rivière Bow. La ville de Calgary a perdu près de 90 % de ses terres humides, ce qui a entraîné une augmentation du volume d’eau en aval exacerbant les risques d’inondation. Après les inondations dévastatrices de 2013, des experts ont recommandé l’intégration de meilleures pratiques de gestion des bassins aux programmes d’atténuation des crues. L’outil d’évaluation rapide des terres humides de la province fournit un cadre pour que les décisions se prennent sans négliger la valeur des milieux humides. À lui s’ajoutent des subventions pour la restauration des terres humides, destinées aux propriétaires. La récente stratégie de résilience climatique de Calgary ciblait également les infrastructures naturelles comme étant l’un des cinq domaines prioritaires.

Si l’approche constitue globalement un pas dans la bonne direction, les efforts de protection et de restauration des milieux humides pourraient être intensifiés. Une étude réalisée en 2014 par Canards Illimités a montré qu’une augmentation de 2 % des milieux humides dans les secteurs habités de l’Alberta aurait un coût comparable à celui d’un réservoir, mais stockerait 50 000 000 m3 d’eau et offrirait des avantages supplémentaires en matière de séquestration du carbone, de filtration de l’eau et d’habitat. En empêchant la perte d’autres milieux humides au centre-est de l’Alberta, on pourrait générer un rendement correspondant à sept fois le capital investi. Les communautés des Premières Nations en Alberta comme les Cris de Mikisew jouent un rôle de premier plan pour inciter les gouvernements à protéger les écosystèmes forestiers et humides essentiels.

Des arbres en ville pour aider les Montréalais à s’adapter aux vagues de chaleur

La troisième étude de cas cible Montréal, qui se distingue par son engagement à planter des arbres. Dans son dernier plan climatique, la Ville promet de planter 500 000 arbres d’ici 2030. Il ne s’agit pas d’une mince tâche compte tenu de la difficulté à trouver l’espace nécessaire dans une zone urbaine peuplée et relativement dense. La canicule de 2018 a montré que les personnes à faible revenu, âgées ou vivant seules sont les plus vulnérables aux maladies et aux décès liés à la chaleur. L’augmentation de la couverture arborée dans les quartiers vulnérables pourrait rafraîchir l’air et fournir un abri pendant les vagues de chaleur, qui s’annoncent plus fréquentes et intenses à cause des changements climatiques.

Pour tirer ces avantages, il ne faudra pas se contenter de planter des arbres : il faudra également les maintenir en vie en investissant suffisamment dans leur entretien et leur protection. Mais les règles de comptabilité municipale compliquent la donne en ne reconnaissant pas la plantation d’arbres comme une dépense en immobilisations. Si les avantages publics étaient pris en compte, les arbres pourraient avoir une valeur trois fois plus élevée que leurs coûts de plantation et d’entretien. À Winnipeg, l’aménagement de la plus grande réserve autochtone urbaine, sous la direction de sept Premières Nations visées par le Traité no 1, accorde une place centrale aux infrastructures naturelles et aux espaces verts de la nouvelle communauté.

Les politiques gouvernementales de protection, de maintien et de restauration des infrastructures naturelles procurent des avantages nets

La plupart des entreprises et des propriétaires immobiliers ne tiennent pas compte des avantages sociaux à grande échelle dans leurs décisions. Ainsi, ce sont par des changements de politiques que la population obtiendra des bienfaits réels et considérables. Voici les quatre grandes façons dont les politiques peuvent stimuler l’action :

  1. Changer les mentalités : Le partage de connaissances, d’analyses et de données sur les avantages pour la population ainsi que le développement de capacités humaines liées aux infrastructures naturelles contribueront à surmonter la fixation du génie urbain pour les infrastructures grises. Le soutien aux initiatives autochtones liées à la nature et l’intégration d’approches autochtones pour prendre soin de la terre en partenariat sont deux façons d’y arriver. 
  2. Revoir les processus de prise de décisions : Trop souvent, les décisions concernant l’utilisation et l’aménagement des terres se font sans pleinement tenir compte de la valeur des infrastructures naturelles existantes pour les générations actuelles et futures. Bon nombre de lois et de règlements qui encadrent les décisions relatives à l’utilisation des terres ont été créés à une époque où l’on percevait les milieux humides et les arbres comme des entraves au progrès plutôt que des atouts précieux.
  3. Encourager les initiatives privées : Dans les régions urbaines et en périphérie, il y a une proportion importante de terres privées. La bonne combinaison d’incitatifs financiers – carottes, bâtons ou un peu des deux – inciterait les propriétaires fonciers privés à protéger et à restaurer les infrastructures naturelles. Des systèmes de compensation du carbone bien conçus – ou une compensation volontaire qui comporte un éventail plus large d’avantages – ont un rôle à jouer, surtout comme le prix du carbone augmente. Et des organismes locaux peuvent faciliter ces transactions.
  4. Faire des investissements publics ciblés : Bien que certains fonds d’infrastructures permettent des projets basés sur la nature, la structure des fonds traditionnels les limite. Avec des fonds consacrés aux infrastructures naturelles ou des volets spécialement conçus pour financer de telles infrastructures, comme le nouveau Fonds pour l’infrastructure naturelle annoncé dans le budget 2021, on pourrait augmenter les investissements. L’admission de projets de moindre envergure et le regroupement de projets faciliteraient également le financement.

La nature n’est pas une solution magique aux changements climatiques. Toutefois, l’adoption d’initiatives autochtones et d’approches stratégiques novatrices quant aux infrastructures naturelles urbaines peut grandement aider à relever ces défis à l’échelle nationale et internationale.

Paige Olmsted est associée de recherche principal à l’Institut pour l’IntelliProspérité. Sonia Patel est associée de recherche à l’Institut pour l’IntelliProspérité.

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