Crédit d'image: Daxus

La COVID 19 a bouleversé nos déplacements

Et cela pourraient rendre la courbe des émissions plus difficile à faire fléchir.

En mars 2020, lorsque la pandémie de COVID‑19 nous a obligés à nous confiner, les rues et autoroutes du pays se sont tues, les autobus, trains et tramways se sont vidés, et tous les travailleurs non essentiels sont restés chez eux. Ce jour où nos vies se sont arrêtées semble déjà remonter à une éternité.

Aujourd’hui, de nouvelles données de téléphone cellulaire fournies par Apple mettent en perspective nos souvenirs collectifs. En plus de montrer une chute presque identique de la mobilité dans toutes les villes canadiennes au début de la pandémie, elles permettent de dégager des tendances intéressantes – et parfois inquiétantes – dans les effets de la relance graduelle des économies locales et provinciales et de l’arrivée d’une seconde vague dans certaines régions du pays.

Envoye à maison!

Dans les quelques semaines qui ont suivi la déclaration de pandémie de l’Organisation mondiale de la santé, début mars, toutes les provinces et tous les territoires ont imposé un confinement, donnant ainsi lieu à une expérience historique sur la mobilité au Canada.

Créés à partir de données rendues publiques par Apple (basées sur les demandes d’itinéraires), les graphiques de la figure 1 illustrent la variation de la mobilité en voiture, en transport en commun et à pied dans sept villes canadiennes (on ne dispose d’aucune donnée pour le vélo). Chacun d’eux montre, pour une ville et un moyen de transport donnés, l’évolution d’un indice par rapport au niveau pré-confinement.

Figure 1 : Allure du confinement et du déconfinement de janvier à octobre 2020

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Source : Données sur la mobilité de Apple, calculs de l’auteur. La courbe rouge représente la moyenne sur 7 jours des tendances de mobilité. La ligne verticale grise marque la semaine de mars où le confinement a été instauré, et la ligne verticale pointillée bleue marque la fin de semaine prolongée de la fête du Travail.

Trois grandes tendances ressortent de ces graphiques :

  1. Plus les cas sont nombreux et plus les consignes de la santé publique sont sévères, moins la mobilité est grande. Cela n’a rien d’étonnant. Les données montrent cependant à quel point la mobilité a chuté avec le confinement dans les villes canadiennes. À Montréal, par exemple, les déplacements automobiles ont diminué de 78 % par rapport à janvier 2020. Au printemps et en été, la baisse du nombre de cas et la levée de certaines restrictions ont été accompagnées d’un rebond de la mobilité, qui semble cependant retomber à Toronto, Ottawa et Montréal avec l’arrivée d’une deuxième vague.
  2. Les déplacements automobiles ont repris en force. Alors que l’économie redémarrait, les déplacements automobiles ont rebondi plus rapidement que la marche et le transport en commun. En fait, pendant l’été, ils ont dépassé les niveaux pré-COVID dans les sept villes étudiées et restent bien au-dessus à Edmonton, à Calgary et à Halifax. C’est probablement dû en partie au fait que des utilisateurs du transport en commun ont choisi de prendre leur voiture, ou à des déplacements locaux pendant les vacances à la maison. Par ailleurs, les déplacements automobiles sont habituellement plus nombreux en été[AJ1] , ce qui a probablement joué un rôle : leur nombre a en effet diminué dans toutes les villes après la fin de semaine prolongée de la fête du Travail, moment où travailleurs et familles reprennent normalement leur routine.
  3. Le transport en commun vacille. Bien que plusieurs villes aient instauré la gratuité dans les premiers mois de la pandémie, la fréquentation a atteint un plancher de 12 % à Ottawa (comparativement au début de l’année). Même après plusieurs mois de relance, elle reste inférieure d’environ 50 % à la fréquentation pré-COVID dans la plupart des grandes villes. Halifax fait exception : en octobre, la fréquentation y atteignait 75 % du niveau pré‑COVID (on y observe également un nombre extrêmement faible de cas, ce qui semble confirmer le point 1).

Transition ou nouvelle réalité?

Ces tendances représentent-elles une anomalie temporaire ou une transformation essentielle de la mobilité? La réponse aura des répercussions énormes sur les objectifs climatiques canadiens : le transport routier compte en effet pour plus d’un cinquième de toutes les émissions de GES au Canada. Si le télétravail persistait après la pandémie, par exemple, moins de gens se rendraient au travail, et les déplacements automobiles diminueraient. Selon une étude, si 20 % de l’effectif mondial travaillait de la maison une journée par semaine, les émissions annuelles de CO2 dans le monde pourraient chuter de 18 millions de tonnes d’ici 2030 (soit environ les émissions de GES de la Nouvelle-Écosse en 2017).

Les tendances canadiennes quant aux déplacements automobiles sont plus inquiétantes. Leur remontée rapide traduit leur attrait en temps de pandémie. En fait, de nombreux jeunes envisagent l’achat de leur première voiture en raison même de la pandémie (y compris l’un d’entre nous!), et d’autres voient l’automobile comme le summum de l’équipement de protection individuelle. Pourtant, une augmentation permanente des déplacements automobiles entraînerait toutes sortes d’effets indésirables : augmentation des émissions de GES, de la congestion routière, de la pollution atmosphérique et de l’étalement urbain.

L’adoption élargie et soutenue du transport actif aiderait à contrer cette tendance, et présenterait des avantages considérables pour le climat et la qualité de l’air. Bien que les données utilisées ne comprennent pas les déplacements à vélo, tout porte à croire que les gens en font de plus en plus; nombreuses sont d’ailleurs les boutiques de vélo qui ont écoulé tout leur stock. Il faudra voir cependant si la tendance se maintiendra avec l’arrivée des températures plus froides, et si les marcheurs et les cyclistes choisiront de prendre l’automobile ou le transport en commun.

Rôle de l’État

La construction d’un système de transport conforme à nos objectifs climatiques nécessite, selon les termes du Forum économique mondial, une “transformation des transports“. Et il est clair que les gouvernements ont une profonde influence sur le façonnement de cet avenir.

En aidant les sociétés de transport à améliorer le service, l’accessibilité et les précautions sanitaires, on pourrait inciter les passagers à revenir. Pour ceux qui seraient encore décidés à acheter une voiture et à conduire davantage, il existe tout un éventail de mesures pour favoriser l’achat de voitures plus écologiques et réduire la congestion. Certaines villes ferment des artères principales pour les remplacer par des centaines de kilomètres de voies cyclables afin de répondre à l’afflux de cyclistes.

Ces mesures pourraient agir dans la bonne direction, mais il est évident qu’il n’y a pas de temps à perdre. Les nouvelles habitudes que nous prendrons pendant la relance économique (ou lors d’un nouveau confinement) seront difficiles à perdre; elles pourraient nous condamner à un avenir qui ne correspond pas à nos objectifs climatiques et rendre la réduction des émissions beaucoup plus difficile.

La pandémie de COVID‑19 a déclenché la plus grande expérience de mobilité au Canada; il nous revient d’en utiliser les résultats pour façonner notre mobilité et notre climat.

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